C’est en 1946 qu’est publié à Bruxelles, sous le pseudonyme d’Arouet, le Voyage en Absurdie du caricaturiste Benjamin Guittoneau. Bien plus récent, le Voyages en Absurdie (oui, il est passé au pluriel) de Stéphane de Groodt propose, en 2013, un recueil de ses meilleures chroniques de RTL. Point commun de ces deux ouvrages : ce sont des fictions, des caricatures. Mais aujourd’hui, au prétexte d’une crise sanitaire, la réalité dépasse de loin les fictions les plus folles…
Lister l’ensemble des absurdités que les politiques dites “de santé publique” des gouvernements occidentaux nous font vivre dépasserait le cadre d’un article de ce blog. D’autant que les ouvrages qui les mettent en lumière abondent : du polémique Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? du Professeur Perronne, au Quand la psychose fait dérailler le monde, de Renaud Girard et Jean-Loup Bonnamy, respectivement journaliste respecté et professeur, normalien, agrégé de philosophie, en passant par De la démocratie en Pandémie, de la philosophe Barbara Stiegler, L’idolâtrie de la vie, d’Olivier Rey, La déraison sanitaire, d’Alexandra Laignel-Lavastine, Covid, anatomie d’une crise sanitaire, de Jean-Dominique Michel, nombreuses sont les publications récentes qui auraient pu porter ce (sous-)titre. Et je n’ai cité ici que celles que j’ai lues.
Les absurdités de notre monde ne sont d’ailleurs pas limitées aux mesures dites “sanitaires”. L’écriture inclusive en France, la “cancel culture” ou la “woke culture” aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, le “genrisme” ou le “racialisme” un peu partout dans le monde occidental, en offrent d’autres exemples. La source de ces “monstruosités” est peut-être à chercher dans la mutation en cours. Gramsci n’écrivait-il pas déjà, dans ses Cahiers de prison : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »? L’Histoire a passé depuis ces paroles prophétiques, mais des monstres différents, aussi redoutables que ceux des années 30, peuvent bien surgir près d’un siècle plus tard. Comment en est-on arrivé là ? Et, surtout, peut-on encore en sortir ?
Un virus révélateur
Qu’un simple virus, comparable, n’en déplaise aux Cassandre, à la grippe saisonnière, même s’il est plutôt du côté des versions les plus dures de cette dernière, conduise à une telle unanimité dans les mesures absurdes est un indice fort du fait qu’il serait davantage un révélateur ou un accélérateur qu’une cause réelle de ce basculement dans la déraison. Quelques rappels de chiffres d’abord. Grippe asiatique 1958-59 : 1 à 4 millions de morts ; grippe de Hong-Kong 1968-1969 : mêmes chiffres ; Covid-19 2020-aujourd’hui : 2,5 millions de morts. Certes, l’épidémie n’est pas terminée. Mais on peut noter aussi que la population mondiale a aujourd’hui plus que doublé par rapport à ce qu’elle était lors de la grippe de Hong-Kong. Les chiffres sont donc aussi à comparer en proportion. Or, les réactions politiques sont, elles, sans aucune proportion.
En fait, le basculement de notre monde occidental vers un monde aux repères chancelants est bien antérieur à l’irruption du SARS-CoV-2. On pourrait en faire remonter certaines manifestations à la chute de l’Empire du mal que représentait le bloc soviétique pendant des décennies. Car cette chute a conduit à la floraison d’une première série d’absurdités : La fin de l’Histoire, d’abord un article, puis un essai de Francis Fukuyama, en offre un raccourci saisissant. La fin de l’Union Soviétique aurait signifié le triomphe total et définitif de la démocratie et du libéralisme. Il ne restait donc plus qu’à cueillir les dividendes de la paix, dont les années 90, pour ceux qui s’en souviennent, faisaient grand cas. Cette illusion d’un monde débarrassé définitivement des guerres a induit chez celles et ceux qui y croyaient, en même temps qu’une remise en cause de tout ce qui faisait consensus en termes de culture, une exigence de sécurité et de protection à un niveau inconnu jusque-là dans l’histoire du monde. Une exigence allant jusqu’à quasiment rendre intolérable la perspective de mourir, ou en tous cas de mourir “involontairement”. Car cette société où l’éventualité de voir ses parents mourir à cause d’un coronavirus est intolérable est en même temps une société qui milite pour le droit à l’euthanasie, où il est interdit de questionner le recours à l’avortement, où il est même de bon ton de considérer la GPA comme un droit imprescriptible, sans reconnaître qu’il transformerait le corps de certaines femmes en simple usine à reproduction ! N’est-ce pas incohérent de prétendre que la vie biologique est le bien le plus précieux qui doit être préservé à tout prix, et en même temps de militer pour en faire un simple objet interruptible à volonté, voire commercialisable ? Sans compter les velléités des transhumanistes, qui en feraient volontiers un simple prolongement de la technologie.
Alors, dans un tel contexte où l’absurde faisait déjà plus qu’affleurer, quoi d’étonnant à ce que la peur d’un virus, largement amplifiée par des médias caisses de résonance, deviennent le déclencheur d’une série de mesures où l’on cherche vainement une trace de bon sens, que même ce bon Docteur Knock n’aurait pas oser inventer : des masques imposés à l’extérieur ; des personnes en bonne santé considérées uniquement comme des malades potentiels, et donc confinées, voire, condamnées à porter un bracelet électronique (Israël) ou, enfermées à leurs frais dans une chambre d’hôtel (Royaume-Uni) ; des personnes âgées enfermées, isolées, dans leur EHPAD, sans sortie et sans visite de leurs proches, prétendument pour les protéger ; des « gestes barrières » et de la distanciation sociale, nouvelle norme de la bienséance ; des couvre-feu et autres fermetures d’établissements qui tendent à faire accroire que ce virus ne sévit que la nuit ou le week-end, et préférentiellement dans les lieux de loisir ; des passeports verts, censés protéger alors qu’ils ne font que contraindre, discriminer et enfermer ; et, dernière absurdité en date, des vaccins insuffisamment testés, inoculés en masse alors même que l’OMS et les autres autorités de santé soulignent qu’on ne sait pas s’ils protègent vraiment, pour combien de temps et s’ils empêchent d’être contaminant, rendant donc les autres mesures toujours aussi « nécessaires ».
La France en tête de la course
La France jouit en matière d’absurdité d’un statut privilégié, que la résistance récente de son Président au “troisième confinement” ne saurait faire oublier. Tant par la concentration d’absurdités, qui semble plus forte que partout ailleurs en Europe, que par la dimension fortement répressive qui les accompagne. L’Absurdistan autoritaire stigmatisé il y a quelques mois dans le respectable Die Zeit est bien toujours là, comme en témoignent ces images surréalistes de policiers en troupeau évacuant les quais de Seine, de barrières de police sur les escaliers du Sacré Cœur, ou du trottoir sud de la Promenade des Anglais interdit à la demande du maire de Nice. Car l’absurde ne se cantonne pas au sommet de l’Etat. Les édiles locaux y ont leur part, comme le maire de Nice cité ci-dessus, la maire de Paris réclamant mezzo voce — et abandonnant bien vite — un confinement dur une bonne fois pour toutes, et même l’exécutif corse avec son greenpass dont l’effet le plus remarquable aura été de mettre des Corses obligés de se rendre sur le continent dans des situations kafkaïennes.
Ces mesures sont absurdes parce que, un an après le début de cette épidémie, on n’a toujours pas la preuve de leurs effets positifs. Ces mesures sont absurdes parce qu’en revanche, on connait leurs effets négatifs : sur la santé psychologique ; sur l’économie — payer des secteurs entiers de l’économie pour qu’ils cessent de fonctionner est un contresens dont la facture sera sous peu très douloureuse — ; sur la cohésion sociale — monter les vieux contre les jeunes, les non-soignants contre les soignants, les partisans du vaccin ou des masques contre les opposants, est un jeu dangereux qui laissera des traces. Elles sont absurdes parce qu’arbitraires : les critères d’évaluation qui conduisent à prendre telle ou telle mesure ou à en sortir ne sont jamais explicités, ou changent dans le temps. Elles sont absurdes parce qu’on ne protège pas la santé des gens en les effrayant ou en les culpabilisant, bien au contraire. Elles sont absurdes enfin parce que contraires aux valeurs que des siècles d’histoire nous ont conduits à mettre au cœur de notre pacte social : la liberté, le respect des droits des individus, le respect de la vie privée, le droit des malades à être soignés et non stigmatisés. Que nous ayons oublié, au point d’en faire un modèle de ce qu’il convient de faire en cas d’épidémie, que la Chine populaire est une des dictatures les plus dures du monde, nonobstant son adhésion — très partielle — au capitalisme, en dit long sur notre perte de repères. Car toutes les mesures absurdes citées ci-dessus sont directement inspirées du confinement inhumain de Wuhan.
Encore une fois, le basculement dans l’absurde n’a pas attendu l’irruption du Coronavirus. ll est probable que la tradition française de l’Etat providence ajoute à l’addiction à la sécurité de nos concitoyens. Mais la nouvelle religion du “en même temps” a largement sa part dans l’état de confusion du pays.
Depuis l’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée, les Français subissent une série d’injonctions paradoxales. La plus criante de ces injonctions paradoxales est le mépris maintes fois manifesté — des “Gaulois réfractaires” au “je ne suis pas là pour vous passer vos humeurs” en passant par le “il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi” — et la proclamation simultanée que l’actuel Président serait la meilleure protection des Français contre le danger représenté par… ses opposants. Bref, on vous fait souffrir, on vous méprise, mais c’est pour votre bien. En faisant croire que l’on peut conduire une politique qui soit en même temps inscrite dans la tradition de la gauche et dans celle de la droite la plus dure, Emmanuel Macron a voulu et a réussi à casser les codes et les repères. Mais, loin de favoriser ainsi des changements apaisés, il a mis le pays à feu et à sang. Il n’y a jamais eu sous la Cinquième République autant de manifestations accompagnées de violences de part et d’autre. Juste avant l’opportune épidémie de Coronavirus, des professions comme les avocats ou les médecins urgentistes étaient en grève. Cette stratégie de clivages est probablement voulue par le chef de l’Etat. Un chef de l’Etat qui n’a de cesse de privilégier les “premiers de cordée” en prétendant que c’est pour le bien commun. Et qui, en même temps, appelle à l’unité de tous derrière sa politique de santé…
Gardons à l’esprit que l’absurde et l’arbitraire occupent une place de choix dans la guerre et la torture psychologique. Et que l’absurde si bien décrit par Kafka au début du XXe siècle a produit les monstruosités des années 30.
Sortir de la folie par le haut
Le pire n’est jamais sûr. Mais là, il commence à être vraiment difficile de l’empêcher. D’ailleurs, si vous mettez en cause la politique sanitaire du gouvernement, si vous questionnez la doxa en matière de vaccins, de tests, de limitations des déplacements, de port obligatoire du masque, vous n’êtes plus simplement un opposant, vous est un complotiste, ou à tout le moins un égoïste. La dernière née, mais peut-être la plus redoutable, des injonctions paradoxales, appuyée sur un discours moralisateur faussement rationnel, nous conduit à un choix insupportable : renoncer à tout esprit critique ou renoncer à toute considération sociale. Christian Perronne, Didier Raoult, Laurent Toubiana ou Alexandra Henrion-Claude, et d’autres encore, en font l’expérience. Heureusement pour eux, leur notoriété et leur parcours brillant les sauvent de l’opprobre, mais qu’en est-il des simples citoyens soucieux d’information équilibrée ?
Car la première clef pour sortir de l’Absurdie est de rechercher une information juste, équilibrée, multiple. C’est difficile, mais possible. Les médias officiels ne sont pas la seule source. Les réseaux sociaux, malgré tous leurs défauts, ont au moins l’avantage pour celui qui cherche un peu de présenter encore différents points de vue. Les médias étrangers peuvent aussi contribuer à fournir une vue différente. Les recherches en ligne peuvent donner des points de comparaison. A condition bien sûr d’accepter de remettre en cause les certitudes qui nous sont déversées quotidiennement par des “experts” en mal de reconnaissance officielle.
Ce qui nous conduit à une deuxième clef, aussi importante et difficile que la première : prendre du recul par rapport à ses propres émotions. La peur est (presque) toujours une très mauvaise conseillère. Or, on nous assène de la peur — et de la culpabilité — depuis maintenant plusieurs décennies : peur du terrorisme, peur du changement climatique, peur aujourd’hui du/des virus. La presse est complice de ce déferlement : ça fait vendre, et il y a bien longtemps que la presse a troqué son devoir d’informer contre un “devoir” de faire du business. En prendre conscience est déjà un premier pas.
Quant à la troisième clef, elle n’est malheureusement pas immédiate. Il faut rénover en profondeur nos démocraties, en déconcentrant le pouvoir, en obligeant les élus à écouter, justifier, expliquer, en laissant chaque groupe humain décider pour lui-même, en empêchant la politique de devenir un métier. Ce n’est peut-être pas pour tout de suite. Mais c’est tout de suite qu’il faut se mettre en route.
Depuis l’émergence de cette épidémie, on parle beaucoup du monde d’après. Si nous ne réagissons pas, en désobéissant dès maintenant aux consignes non justifiées, en rejetant l’arbitraire, bref, en refusant l’Absurdie, ce monde d’après se dessine en filigrane : une société hygiéniste où la peur de mourir remplace l’envie de vivre, une société sécuritaire où la peur du gendarme impose d’exhiber son pass vert à tout moment, une société clivée où il faut être femme pour parler des droits des femmes, noir(e) pour traduire une poétesse noire. Faut-il aussi être fou pour dénoncer cette course folle vers l’absurde ?
La vraie vie, ce n’est pas ça. La vraie vie est faite de risques, de choix assumés, de conflits. Darwin nous enseigne que cette vraie vie finira par triompher. Mais que restera-t-il alors de nos sociétés occidentales déshumanisées et pétries dans la peur ? Réagissons tant que nous le pouvons encore.