Nombreux sont mes amis nationalistes corses qui ne comptent pas voter à l’élection présidentielle française de 2022. « Nous ne sommes pas Français, donc nous ne nous mêlons pas des Présidentielles. » Je suis généralement d’accord avec eux. Mais pas cette fois-ci.
Je le confesse, si on m’avait offert la possibilité de voter en Russie, je l’aurais fait, alors que je ne suis aucunement Russe. Parce que chasser Poutine du pouvoir aurait été une œuvre de salut public : un dictateur belliqueux, c’est mauvais pour le peuple russe, mais aussi pour les autres peuples1..
Bien sûr, Macron n’est pas Poutine. Du moins, pas encore… Mais son ego disproportionné, sa tendance affirmée à l’autoritarisme, sa pratique sans vergogne du mensonge comme le mépris affiché de “son” peuple quand celui-ci s’oppose, ne rappellent-ils pas le Poutine des débuts ? Et n’est-il pas des moments où, pour conjurer un danger catastrophique, il convient de mettre entre parenthèses certains principes ? Certes, la Corse n’est pas la France. Mais elle subit directement les méfaits du plus mauvais président de la Ve République française.
Macron, un “manager” catastrophique pour la France…
Macron dirige la France depuis 5 ans. Nous savons donc maintenant comment il gouverne. Le mépris du peuple, le gouvernement par la peur, la zizanie systématique, le non-respect de la parole donnée, le mensonge, le pouvoir personnel, telles sont les pratiques qui ont dominé la vie politique française de ces dernières années. Nous avions écrit sur ce blog il a presque deux ans comment cette stratégie de clivages est délibérée. Il est devenu de bon ton dans certains milieux intellectuels d’expliquer que la faute de Macron est de gouverner un pays comme on manage une entreprise. C’est bien mal connaître l’entreprise ! Car quel chef d’entreprise, quel conseil d’administration laisserait aux commandes un “manager” qui conduit l’entreprise à la faillite économique, à la division profonde entre les personnes, au ridicule dans l’image à l’international ?
… et un danger grave pour la Corse
Peu nombreux sont en Corse ceux qui aiment Macron. Simplement, le “principe“ veut que les indépendantistes ne participent pas au choix du Président français. Et cela se conçoit si on accepte l’idée qu’au-delà des Présidents, c’est une conception coloniale commune et durable qui inspire la politique française vis-à-vis de notre île. Sauf que, là, Macron tient une place à part.
Jamais depuis Aleria le peuple corse n’avait subi un tel mépris de la part d’un Président français. On retrouve ici les pratiques macroniennes du continent, mais avec une saveur encore plus forte : fouille au corps des représentants élus du peuple corse lors de la première visite présidentielle en 2018, discours sur les crimes “qui ne se plaident pas” lors de l’hommage au préfet Erignac cette même année, court-circuitage de l’Assemblée territoriale lors du “grand débat” l’année suivante, manœuvres permanentes à travers les préfets pour saboter ou à tout le moins rendre plus difficile la gestion de la collectivité, et, cerise sur le gâteau, provocations multiples pour mieux diviser. La grand’croix de la Légion d’honneur accordée au chef du commando de Francia chargé de l’enlèvement et de l’assassinat d’un militant nationaliste en 1980 contraste douloureusement avec le mépris de la loi en ce qui concerne le rapprochement des prisonniers corses du commando Erignac. Ces provocations répétées ont fini par aboutir au drame qui a coûté la vie à Yvan Colonna, assassinat dont on ne saura jamais s’il était “commandé” ou “simplement permis” par une négligence coupable.
Tous les Corses savent cela, et ce rappel n’a pour objet que de souligner la litanie des griefs que notre peuple peut avoir contre le Président français. Mais surtout, qu’en sera-t-il si Macron est réélu ? Après la comédie de l’ouverture d’une discussion prétendument sérieuse sur l’autonomie de notre île, les dernières déclarations, suite à la mise en berne des drapeaux de la collectivité pour marquer et accompagner le deuil de la famille Colonna, devraient déciller les yeux des plus fervents partisans de ce dialogue : “faute”, “inapproprié” pour le Président, “insulte à l’Etat français” pour son ministre de l’intérieur, ces propos ont l’avantage de baliser clairement ce que ne serait pas une éventuelle autonomie. Nous savions déjà qu’elle ne saurait inclure ni une reconnaissance du peuple corse, ni une co-officialité de la langue corse, ni la mise en place d’un statut de résident pour sauvegarder notre terre de la spéculation immobilière. Nous savons maintenant que même le choix de nos deuils nous sera interdit ! En fait, cette poudre aux yeux n’a d’autre but que de tenter d’ancrer la division, déjà actée lors des territoriales, entre les nationalistes et les post-nationalistes. Certes, il faut pour cela la complicité de certains des acteurs politiques nustrali eux-mêmes. Mais qui pourrait nier le talent de Macron pour détruire tout ce qui ferait avancer le peuple corse vers plus de liberté et de responsabilité dans le choix de son destin ? Macron a été un fardeau pour la Corse au cours de ces cinq dernières années. Il serait un danger vital s’il était réélu en avril prochain.
Pas mieux avec les autres ?
Il est vrai qu’en face du Président sortant, les options ne sont guère brillantes. Et que, s’il passe le premier tour, comme cela reste probable, nous pourrions être confrontés à un duel peu réjouissant au second. Aussi ne s’agit-il pas à mes yeux de choisir le futur Président de la France, mais de chasser celui qui a franchi tant de lignes rouges.
Car notre statut de dépendance française nous donne au moins l’arme démocratique du vote. Et celle-ci peut être utilisée pour signifier clairement qu’il y a des limites que nous ne pouvons accepter de voir franchies. Le mépris du peuple corse et de ses représentants a atteint, sous la présidence de Macron, de nouveaux sommets. Nous devons dire STOP. Dans la rue, par une mobilisation de masse, comme cela a commencé au cours de ces derniers jours. Mais aussi dans les urnes, car c’est là que se jouera, en avril prochain, une partie du futur de la France et de la Corse. Nous savons que rien ne bougera vraiment sans rapport de forces établi. Virer un Président qui s’est à ce point moqué de nous participe de l’établissement de ce rapport de forces. Le vote de sanction doit s’ajouter à la mobilisation populaire, car dans un conflit du faible au fort, on n’a pas le droit de négliger une partie des armes que nous donne le Droit.
Jean-Paul Sartre nous rappelait que l’action politique conduit à se salir les mains. Celles qui contribueront, par leur abstention, à faire réélire Emmanuel Macron seront-elles plus propres que celles qui placeront dans l’urne, au second tour, le bulletin de son adversaire, quel qu’il soit ? Je ne le crois pas…
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↑1 Accessoirement, je voterais aussi en Ukraine, si on m’en offrait la possibilité, pour éloigner du pouvoir Zelensky, ce saltimbanque devenu chef de guerre aux accents hollywoodiens, qui a provoqué plus de malheurs pour son peuple et, par ricochet, pour les peuples d’Europe que tous ses prédécesseurs réunis.