Républiques…

Armoiries_troisieme_republique_francaiseEn choisissant de célébrer au Panthéon le 150e anniversaire de la naissance de la Troisième République, sous le signe des « 150 ans de la République », Emmanuel Macron n’a pas simplement réécrit l’histoire. Il a fait un choix politique d’héritage. Regardons de plus près quel est ce choix…

150 ans, c’est trop ou trop peu

La république dans laquelle nous vivons n’a pas 150 ans. La Cinquième est née en 1958. Si l’on veut considérer la continuité avec la précédente, il faudrait alors remonter à 1946, année de fondation de la Quatrième République. Mais certainement pas à 1870, sauf à considérer que les années 1940-1946 n’ont pas existé dans l’histoire de France.

1600px-F159_5centimes_An_4_Paris_République_française_(16580677219)On pourrait aussi bien sûr remonter à la Première, nonobstant les années d’interruption. Mais alors, c’est en 1792 qu’il nous faut remonter…

Bref, marquer la naissance de la Troisième République, pourquoi pas ? Mais quid des autres ? Car faire de la Troisième la matrice de celle dans laquelle vit aujourd’hui la France est un choix politique, loin d’être neutre. Regardons donc un peu les caractéristiques majeures de cette Troisième.

Une République guerrière, une République clivante 

La Troisième République est née d’une défaite militaire, elle est morte dans une autre. Entre temps, elle a multiplié guerres externes et internes, scandales et divisions.

1920px-P1330079_Carnavalet_Boulanger_commune_Villette_P393_rwkDès sa naissance d’abord, dans le bain de sang de la Commune de Paris, la Troisième a joué la carte de la violence intérieure. Les Versaillais sont un peu oubliés aujourd’hui, mais comment peut-on passer sous silence que c’est, dans l’histoire de France, la seule fois — jusqu’à présent — où l’armée française a attaqué un Paris qui n’était pas occupé par des troupes étrangères, mais par son peuple ? Que l’on soit ou non un admirateur de la Commune et de Louise Michel, force est de rappeler que la Semaine Sanglante a tué environ 20 000 civils, sans compter ceux qui mourront en déportation. Comme acte de baptême d’une République, on a connu plus “consensuel”.

La Troisième, c’est aussi, bien sûr, celle des deux guerres mondiales. Elle n’en porte pas seule la responsabilité, cela va de soi. Mais, là encore, quel symbole ! Jaurès assassiné parce qu’il pensait que l’humanité avait mieux à faire que de s’écharper pour des empires. Près d’un million et demi de morts français dans les tranchées de la Première, auxquels il faut ajouter 300 000 civils, près de 600 000 dans la Seconde. Là encore, un bilan “républicain” qu’il conviendrait de ne pas oublier.

Mais au-delà des guerres, dont on peut toujours arguer que la République les avaient subies, au-delà de la répression de la Commune, dont on peut arguer qu’elle nous a évité des décennies de “communisme”, la Troisième a fait des 838_170118_v81le_histo_dreyfus_ok_sn635choix qu’aujourd’hui, on est en devoir de questionner. A l’intérieur du pays, c’est l’affaire Dreyfus, la loi de 1905 et la répression sauvage qu’ont alors subie celles et ceux qui défendaient leurs églises, en particulier en Bretagne. Ce sont les Hussards noirs de la République, chargés, comme leur nom l’indique, d’éradiquer mauvaises pratiques et mauvaises “langues” (celles des “provinces”, comme le Breton ou le Corse) plus encore que d’apporter la lumière de l’éducation. Choisir un nom de soldats pour nommer des éducateurs relève d’un choix dont la non neutralité n’échappera à personne. A l’extérieur du pays d’ailleurs les vrais Hussards ont trouvé un emploi dans la construction et la consolidation d’un empire colonial. Bien sûr, le second empire colonial avait commencé sous Napoléon III, mais c’est la Troisième République qui l’a structuré, qui a mis en coupe réglée une grande partie de l’Afrique, la péninsule indochinoise, et l’essentiel du Maghreb (même si le début de la conquête de l’Algérie lui est largement antérieure).

Enfin, pour terminer ce survol de la Troisième République, il convient de rappeler que ce fut aussi la république des scandales : Panama et l’affaire Stavisky sont les plus connus, mais on compte bien au moins une dizaine de scandales politico-financiers majeurs, du krach de l’Union Générale aux 100 millions de francs escroqués à de petits épargnants par Marthe Hanau, affaire qui provoquera par ricochet la mort du Cartel des Gauches.

Bref, une République largement placée sous le signe des affrontements internes et des guerres extérieures, des scandales politiques et financiers, de la division durable de la population, qui conduira aux affrontements de février 1934, puis plus tard à l’ignominieuse défaire de 1940. Et à la honte du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain par une très large majorité des députés “républicains”.

Un choix éminemment politique

Et c’est cette république là dont Emmanuel Macron a choisi de revendiquer haut et fort l’héritage. Et pour cause. J’ai déjà souligné dans un précédent article à quel point les clivages, qui caractérisent à la fois la Troisième République et le quinquennat actuel, servent ses objectifs. Les liens entre la finance et la politique qui émergent chaque jour, y compris dans le champ de la politique de santé, ont aussi un air de déjà vu.

Mais ce choix n’en est pas moins inquiétant. De nombreux épisodes de l’histoire de la Troisième République, résumés précédemment, mériteraient d’être titrés “la République contre le peuple”. Est-ce cela qu’Emmanuel Macron réitère ? Il avait pourtant le choix. 

Marquer le 150e anniversaire de la naissance d’une des cinq républiques française est peut être un devoir de Président de la République. Mais rien ne l’obligeait à en faire les 150 ans de LA république. Et il aurait pu aussi bien l’année de sa victoire fêter la continuité républicaine avec les 225 ans de la Première. Puis, l’année suivante, célébrer les 170 ans de la Deuxième et les 60 ans de la Cinquième. 

Il est vrai que certaines déclarations de ses ministres nous rappellent parfois les Hussards noirs de la République. Le eleves-de-l-ecole-normale-au-xixe-siecle-photo-dr-1430402578Ministre de l’Education Nationale n’a-t-il pas estimé, sur une radio grand public (RTL, le 21 septembre 2020), que les jeunes filles devaient venir à l’école “habillées d’une façon républicaine” ? Quant aux blagues salaces du Ministre de l’intérieur en plein débat au Sénat, elles n’ont probablement rien à envier à l’ambiance sexiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

L’histoire se répète-t-elle ?

A propos du coup d’État de 1851, qui installa au pouvoir le prédécesseur de cette Troisième République, Marx disait qu’il s’agissait de la « deuxième édition du 18 Brumaire ». Il débute son ouvrage Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (écrit en 1851) en rappelant et en complétant la remarque d’Hegel : « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». 

Peut-être sommes-nous alors aujourd’hui dans la farce de la deuxième édition d’une république clivante et violente. Mais nous ne devons pas oublier qu’il arrive souvent que la farce se termine tragiquement. La naissance et la fin de cette pire, jusqu’ici, des républiques françaises nous rappelle justement que, si le pire n’est jamais sûr, il est toujours possible. Et qu’Emmanuel Macron choisisse de se placer sous cette égide n’a rien de rassurant.

Alors, plutôt que de fêter les 150 ans d’une république française mortifère, il est temps que nous nous occupions du futur. Ici, en Corse, l’urgence est que nous posions les jalons de la future République Corse ! Nous en reparlerons…Préambule_Constitution_Corse