Séparatisme : le choix des mots, le poids des maux

ob_cc8f67_secteUn projet de loi pour lutter contre le séparatisme. Digne de la Grande République française, la Troisième, la seule, la vraie. Encore que, à l’époque — j’y reviendrai dans un prochain article —, il s’agissait plutôt d’annexer et de coloniser que d’empêcher de “se séparer”. Mais de quoi s’agit-il ici ?

Dans sa défense de ce projet de loi, Marlène Schiappa, en même temps qu’elle demande de “laisser[r] les Corses tranquilles”, précise : « […] on parle, par exemple, de l’islam politique. On parle, par exemple, d’un certain nombre de dérives sectaires, qui veulent faire en sorte que les lois d’un petit groupe s’imposent et soient supérieures aux lois de la République. »

Euh… Je ne comprends pas bien. Imposer à la société française des lois religieuses serait du séparatisme ? Moi, j’aurais appelé cela de la subversion, de la prise de pouvoir abusive, du retour à l’obscurantisme, etc… Bref, les termes ne manquent pas. Mais aucun ne ressemble, de près ou de loin, à “séparatisme”.

Ce dernier terme a un sens précis. Ou deux. Si on s’en réfère au dictionnaire du CRNTL, séparatisme peut signifier :

  1. Volonté attribuée à un groupe humain, géographiquement localisé et possédant une homogénéité ethnique, linguistique ou religieuse réelle ou supposée et une tradition historique commune, de se détacher de l’État dont il fait partie pour constituer une entité politique autonome
  2. Scission, séparation du spirituel et du temporel ; attitude philosophique, doctrine qui l’affirme.

Aucune de ces deux définitions ne s’applique, bien évidemment, à l’islam politique ! Soumettre l’Etat à ses lois n’est pas constituer une entité politique autonome. Quant à séparer le spirituel du temporel, le seul séparatisme dans ce sens-là est celui de la république française laïque, au moins depuis 1905.

Alors, erreur involontaire à l’insu du plein gré du Président ? Qui pourrait croire que notre brillant Emmanuel Macron ne maitrise pas la langue française…

Les mots sont des armes. Dans notre société policée, on utilise rarement — bien qu’encore trop souvent — la Kalachnikov. On n’utilise même pas tous les jours, bien qu’encore plus et bien trop souvent, les LBD. Mais le pouvoir utilise chaque jour les mots, et les médias pour les répéter. Choisir de parler de lutte contre le séparatisme pour lutter contre l’extrémisme religieux n’est pas un lapsus, ni un contresens involontaire. C’est bien révéler d’autres maux : l’incapacité d’un Etat à créer une cohésion autrement que par le mensonge et la dissimulation, l’incapacité d’un Etat à admettre ses limites, l’incapacité d’un Etat à régner autrement que par la peur, l’incapacité d’un Etat à se réinventer autrement qu’en tentant de recycler les vieux phantasmes.

Dans tout cela, que Marlène Schiappa et les Corses soient tranquilles. Ils ne sont nullement concernés. Car vouloir libérer son pays d’un Etat étranger qui l’a annexé par la force n’est aucunement du séparatisme. Emmanuel Macron le sait bien, lui si féru d’histoire. Libérer son pays d’une annexion, c’est simplement appliquer la Charte de l’ONU et le droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est de la Démocratie.