Le culte de la (sur)vie

Guide_de_survie_couverture2La crise médiatico-sanitaire du Coronavirus jette une lumière crue sur nos sociétés, leurs fragilités, leurs peurs, leurs priorités. Un des éléments qui me frappe est que le culte de la survie semble avoir remplacé le culte des héros, même si les références à ces nouveaux héros que seraient les “soignants“ ne manquent pas. Eclairage…

Je le confesse, j’ai passé mon enfance et mon adolescence baigné dans le culte des héros. De Jason à Lancelot du Lac, chercheurs de Toison d’or ou de Graal sensés restaurer l’ordre du monde, de Jeanne la Flamme à Louise Michel, puis à Lucie Aubrac, qui se battaient à leur façon pour que le pouvoir soit exercé dans la justice, de Spartacus à Che Guevara, ces “libérateurs”, et tous ces héros sans nom morts dans la Résistance ou sur les plages de Normandie, mes “héros” étaient pour le moins éclectiques, et, la sagesse venant — un peu — avec l’âge, certains me semblent aujourd’hui moins dignes d’éloge que ce que j’en pensais à l’époque. Mais il gardent un point commun majeur : pour eux, certaines valeurs valent que l’on mette sa vie en jeu.

Y aurait-il encore place pour eux aujourd’hui dans nos sociétés pétrifiées de peurs et semblant croire que rien ne vaut le fait d’être vivant, quel qu’en soit le prix ?

Au nom de la vie… des autres

Car c’est bien aussi de cela dont il s’agit au regard de la réaction disproportionnée à ce dernier avatar des Coronavirus. Je ne me prononcerai pas sur la dangerosité de ce virus. Une létalité de 0,3% à 0,5% pour les plus sérieux des spécialistes (soit 3 à 5 fois celle de la grippe saisonnière), une contagiosité encore sujette à discussion, un taux de mortalité de moins de 10 par million dans les pays qui ont su gérer intelligemment cette pandémie — 4 par million en Corée, 8 par million à Malte, 6 pour 23 millions d’habitants à Taïwan ! — mais malheureusement beaucoup plus important (100 fois et plus) dans les pays européens aveuglés par leurs certitudes. Et en même temps, une panique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale : monde figé dans l’attente, échanges suspendus, presse et réseaux sociaux envahis du seul sujet du moment.

A cette panique généralisée s’ajoute, en France plus particulièrement, une législation d’exception qui permet de suspendre des libertés de base — la liberté de mouvement est un droit essentiel dans les pays dits démocratiques, et n’a jamais été auparavant limitée ainsi en temps de paix —, et en même temps de remettre en cause droit du travail, contrôle de légalité, droit des justiciables, etc. L’Etat d’urgence sanitaire, qui suspend la vie démocratique, a été voté par 88,7% des députés, 1 point de mieux que le vote des pleins pouvoirs à Pétain en 1940 !

Au nom de quoi ? Mais, au nom de la vie, nous répond-on. Car, si nous devons accepter de nous priver de nos libertés, de notre droit de critique, et même simplement de notre esprit critique, c’est pour sauver des vies. La nôtre éventuellement, mais plus encore celle de nos anciens, menacées comme jamais par ce nouveau virus. Altruisme donc, et même devoir d’humanité.

Ben voyons ! C’est probablement ce devoir d’humanité qui a poussé à une croissance effrénée des délations, tradition bien française depuis 1940 ! C’est probablement ce devoir d’humanité qui a poussé certains à chasser de leur immeuble des infirmières qui auraient pu y apporter ce sale virus attrapé en soignant les autres !

Certes, ces cas ne sont pas la généralité, et on a vu aussi de très belles initiatives de solidarité apparaître. Mais, de la fuite massive de Paris le 16 mars dernier à ces multiples dénonciations, il me semble que ce qui domine dans le tableau n’est pas l’altruisme ni le sens civique, mais simplement l’égoïsme et la peur de la maladie, pour soi, et éventuellement un peu pour ses proches. Et c’est aussi cette peur que l’on lit au fil des twits et autres posts qui réclament plus de confinement, plus de contrôle, plus de distanciation… 

Culte de la vie ou de la survie ?

Et après tout, c’est presqu’une peur légitime ! Qui, à part un fou, accepterait avec plaisir de mourir bêtement d’un virus qu’il aurait pu éviter… 

Car la vie, ou plutôt la survie, est devenue en cette crise l’alfa et l’oméga de toute chose. Ainsi sommes-nous appelés à applaudir à 20h les nouveaux héros de notre temps : les “soignants” d’abord, mais aussi les personnels de supermarché, les éboueurs, bref, toutes celles et ceux qui permettent que nous puissions continuer à survivre. Certains sont même allés jusqu’à associer à cet hommage collectif les “forces de l’ordre” qui permettent, par leur zèle, de mettre hors d’état de nuire les dangereux contrevenants qui propageraient sinon sans vergogne ce virus urbi et orbi.

Cette ode à la survie est allée jusqu’à montrer sur les réseaux sociaux ou à la télévision les applaudissements décernés sans compter à ces survivants qui quittaient enfin la réa pour renouer avec un isolement plus standard. Et à exposer, par contraste, sur une chaine de télévision qui ne mérite plus d’être nommée “d’information”, les derniers instants d’un pauvre homme dont même la famille a appris ainsi le décès en “direct”.

Car lorsque le seul horizon de la pensée devient la survie, l’ignoble côtoie forcément le grandiose. Les victimes survivantes des camps nazis en ont été les témoins. Nous n’en avons pas été là, fort heureusement, dans cette crise médiatico-sanitaire. Mais comment ne pas s’interroger ? Comment ne pas réfléchir un peu à ce qui fait la valeur de cette (sur)vie apparemment si prisée ?

Qu’est-ce qu’une société qui montre à ce point un culte de la survie qu’elle accepte d’abandonner à la solitude celles et ceux qui en souffrent le plus, les “vieux”, et ce jusque dans leurs moments ultimes ? Qu’est-ce qu’une société qui sacrifie à son culte de la survie tout son tissu de relations sociales, ses habitudes de vie, son travail, sa culture ? Qu’est-ce qu’une société qui sacrifie à son culte de la survie ses libertés les plus élémentaires ? Qu’est-ce qu’une société qui n’accepte plus le risque, oubliant dans le même temps que cette survie à laquelle elle sacrifie ne représente que quelques années à peine de plus pour les mortels que nous continuons d’être malgré tout ?

survieLe mythe létal du zéro risque

Car s’il est un paradoxe que cette crise a aussi souligné, c’est combien l’aversion au risque est porteuse de risques. On nous dit que ce virus n’a pas de traitement. C’est faux. Le Professeur Raoult, mais avec lui des centaines de médecins, nous disent et nous démontrent qu’il existe au moins un traitement qui diminue suffisamment la charge virale pour éviter dans la plupart des cas une évolution grave, et pour guérir plus vite que nos seules défenses naturelles. Sauf que ce traitement n’a pas l’heur d’avoir été validé de bout en bout, par une procédure exempte de tout biais. Et ne fonctionne pas à 100%. Alors, au nom du sacro-saint principe de précaution, ce traitement est interdit d’accès en France, hors protocole spécial en hôpital. Peu importe que des pays entiers l’utilisent semble-t-il avec succès. Peu importe qu’une simple analyse objective des chiffres de mortalité classe la France, et donc sa stratégie de soins, dans le triste peloton de tête en nombre de morts par million d’habitants. Et cela sans compter, parce qu’il est trop tôt pour le savoir, les inévitables victimes du confinement : victimes de violences domestiques, victimes de déprimes, victimes de suicides à venir quand la crise économique aura pris le relais, ou simplement, dans les EHPAD en particulier, victimes de lassitude de vivre seuls.

Je ne sous-estime aucunement les efforts déployés, souvent avec un manque de moyen criant, par tous les personnels hospitaliers, d’EHPAD ou de médecine de ville pour tenter malgré tout de diagnostiquer, de soigner et de sauver les personnes les plus gravement atteintes. Mais, par refus du risque, par conformisme, notre société et ses dirigeants préfèrent laisser mourrir “en toute sécurité” que tenter des protocoles de soin non validés à 100%. C’est là le triste bilan de ce culte de la survie. 

Cette paralysie provoquée par un simple virus bien moins mortel que beaucoup d’autres auxquels a été et est toujours confrontée l’humanité est le point d’orgue de cette obsession sécuritaire qui caractérise notre début de siècle. 

Obsession qui nous fait oublier de regarder les chiffres : 250 000 morts au niveau mondial en 4 mois d’épidémie de COVID-19, pour une moyenne de 57 millions de morts par an — soit environ 19 millions rapportés à quatre mois —, dont 3,1 millions de malnutrition, 650 000 pour la grippe saisonnière de 2017 ! 

Obsession qui nous fait oublier que jamais, les atteintes à nos libertés n’ont été aussi loin. Quel régime totalitaire n’a pas rêvé d’une capacité de tracer les déplacements aussi minimes soient-ils de toute une population ? Le COVID et ses applications de tracking peuvent y conduire ! Le prétexte de santé publique se révèle en la matière encore plus puissant que le prétexte du terrorisme. 

Ce culte de la survie, qui dégénère en obsession sécuritaire, nous fait oublier que vivre, c’est simplement arbitrer entre différents risques. Que, certes, la vie est belle et mérite d’être préservée, mais pas à n’importe quel prix ! Et que le sens de la vie ne saurait se limiter à compter les années qui s’accumulent…

A défaut de retrouver le culte des héros, il est temps de se rappeler que, parfois, la défense de certaines valeurs, de certaines causes, de certaines façons de vivre ensemble, valent le coup qu’on relativise l’importance de notre survie individuelle. Au moins pour que nos enfants puissent vivre dans une société humaine et non dans un enfer sécurisé. 

Si nous oublions cette vérité élémentaire, si nous continuons à cultiver la peur, un prédateur plus affamé ou plus puissant encore que ceux qui sévissent aujourd’hui finira par avoir raison de notre civilisation et de tout ce qui fait le sens de notre vie.