La boîte de Pandore

Pandora_-_John_William_WaterhouseSelon la légende, Zeus/Jupiter créa Pandore pour se venger des hommes qui lui avaient volé le feu. Le Jupiter qui occupe l’Elysée depuis 2017 a, quant à lui, le 12 mars dernier, lors de son discours de chef de guerre instaurant l’état d’urgence sanitaire, ouvert une nouvelle fois la boîte de Pandore. Avec peut-être moins de naïve curiosité que la Pandore originelle. 

Je ne dirai rien ici de la pertinence ou non d’un confinement aveugle et généralisé qui nous est imposé faute de masques, de tests et de stratégie de traitement. Mais je voudrais en souligner quelques conséquences que l’on aperçoit au fil de la presse ou des réseaux sociaux.

D’abord, l’acceptation muette de la privation d’une liberté aussi essentielle que celle de se déplacer et de rendre visite à ses proches a de quoi surprendre. Ce qui est présenté aujourd’hui comme un acte de civisme de base n’est rien d’autre qu’une assignation à résidence généralisée, comme celles dont naguère, dans les régimes communistes de Chine ou d’ailleurs, nous dénoncions la dimension totalitaire. Qu’une telle mesure puisse être imposée sans même en définir les critères de sortie, et sans contrôle du Parlement, et soit soutenue, sans broncher, par la majorité de l’opinion publique, a de quoi faire frémir. Certes, on maintient, à coup de reportages plus effrayants les uns que les autres, une peur exagérée qui n’encourage pas à la révolte. Mais ce silence ne traduit-il pas, plus simplement, une appétence de plus en plus forte pour des mesures autoritaires, à mes yeux autrement inquiétante que le coronavirus ? Je l’avais écrit il y a quelques semaines, il y a bien plus qu’une différence anecdotique entre d’une part un renoncement spontané et librement consenti à des rassemblements ou à des déplacements non nécessaires et d’autre part une interdiction desdits rassemblements ou déplacements. 

Mais la boîte de Pandore contient d’autres maux. On voit fleurir les dénonciations, sur les réseaux sociaux, mais aussi auprès des gendarmeries et autres postes de police, de ces nouveaux malfaiteurs qui n’ont commis d’autres forfaits que de sortir de chez eux sans autorisation ! Certes, les campagnes comme Balance ton porc avaient inauguré cette nouvelle ère de délation. Mais c’était au moins pour dénoncer de vrais crimes. Aujourd’hui, « l’instinct de délation » se développe sous couvert de santé publique. Il ne s’agit en tous cas ni de santé mentale, ni de santé démocratique !

On y voit aussi naître un autre mal potentiellement létal pour toute démocratie : la vénération des experts, réels ou autoproclamés. Ainsi, le gouvernement français prendrait ses décisions uniquement à l’aune des expertises de son conseil scientifique, et encore uniquement s’il y a consensus scientifique !? Chacun doté un tant soit peu d’esprit critique sait bien que cette attitude du gouvernement n’est qu’un masque. Mais le choix de CE masque, plutôt que de celui, plus traditionnel, du bien commun, a de quoi inquiéter bougrement. Car, si tout le monde convient que le bien commun est largement interprétable, donc sujet à débat politique, il y a en revanche un mythe de LA vérité scientifique unique et incontestable. Prendre ses décisions politiques au nom de ce mythe est ouvrir grand la porte au totalitarisme. 

En même temps que cette vénération des experts, et d’une certaine façon paradoxalement, se développe comme nous ne l’avions encore jamais vue une domination absolue du pathos ou de l’ethos sur le logos. Peu importe la logique de ce qui est dit ou fait, ce qui compte est qui le dit/fait (expert, réel ou pseudo) et quels sentiments l’entourent. On pleure et fait pleurer, on fait peur, on applaudit les soignants, on s’effraye de l’inconnu, on donne aux hôpitaux, mais on en oublie de raisonner. Sentiments et émotions sont bien sûr ce qui rend humaines nos sociétés. Mais la raison doit elle à ce point perdre ses droits que, par exemple, les constats et recommandations du Professeur Raoult deviennent objet de débats passionnés autour d’une sacro-sainte « méthodologie scientifique » et non d’une analyse objective des faits recueillis sur le terrain ?

On pourrait malheureusement poursuivre la litanie des maux sortis de cette boîte ouverte le 12 mars. Mensonges, égoïsmes, vols — de masques, par exemple —, cynisme sans borne — de la facturation du dépôt des corps à Rungis aux propos odieux tenus par le Préfet de police de Paris —, individualisme exacerbé de ceux qui remplissent leur caddies sans souci des autres — à quand le début du marché noir ? —, arbitraire dans les modalités d’application du « confinement », abandon des plus vulnérables, etc. 

Ce qui nous sauvera probablement, c’est que ceux qui dirigent la France ou ceux qui les commanditent ont besoin d’une économie ouverte pour survivre. L’état d’urgence prendra donc fin un jour.

Puissions-nous ce jour-là, quand la boîte de Pandore sera tant bien que mal refermée, garder en mémoire ce que nous y avons vu. Pour nous atteler sans délai à construire, chez nous, un autre modèle de société, fait de liberté, de responsabilité et de solidarité, dont cette étrange période a aussi démontré le réalisme.