Qui veut tuer l’agriculture corse ?

chèvresLa récente mobilisation des agriculteurs corses qui expriment leur détresse braque de nouveau les projecteurs sur le monde agricole et sur les aides de la PAC. En même temps, elle contribue à porter un éclairage cru sur l’attitude de l’Etat français en Corse. Après la chasse aux transats, la chasse aux parcours pastoraux ? Loin de ne concerner que le monde agricole, cette question concerne tous les Corses.

Une question moins technique qu’il n’y parait

Parcours pastoraux, surfaces peu productives, DPB… Des termes techniques qui pourraient nous faire perdre de vue le bon sens et la raison élémentaire. 

Le DBP, ce Droit au Paiement de Base, est tout simplement l’aide principale prévue dans le règlement de la Politique Agricole Commune. C’est effectivement une aide à la surface. Pourquoi aider les agriculteurs ? Simplement parce que le choix fait par l’Union Européenne d’une économie ouverte, mondialisée, les condamnerait à mort s’il n’y avait une façon de compenser le formidable écart de coûts de production par rapport aux pays les moins-disants. Les moins-disants dans leur coût du travail, mais aussi, disons le nettement, dans la qualité de leur production. La viande de bœuf importée d’Amérique Latine ne subit pas les mêmes contrôles que celle produite ici ! Ainsi, ces aides à l’agriculteur sont en réalité aussi des aides au consommateur ! C’est cela qui nous permet d’acheter des produits de qualité à des prix raisonnables, tout en rémunérant le travail des producteurs de façon décente.

Les parcours pastoraux quant à eux sont tout simplement ces zones de maquis, de chênaies, de petits herbages parfois, tout faits de mélanges et de variété, que parcourent chèvres, brebis ou vaches corses à la recherche de leur nourriture. Ces parcours sont spécifiques des zones de montagne méditerranéennes. Il va de soit qu’ils ne sont pas les mêmes que les territoires où paissent les vaches normandes ou bretonnes, ou les brebis de prés salés du Mont Saint-Michel ! Alors, oui, bien sûr, ces terres sont moins productives que de grands champs de luzerne ou d’herbe. Mais elles sont celles que la nature nous offre ici, depuis des siècles, et qui conviennent à nos races spécifiques bovines, caprines ou ovines. Ces bêtes savent en tirer parti. Seraient-elles plus intelligentes que les technocrates de Bruxelles et Paris ?

La question sous-jacente donc derrière cette volonté de Bruxelles et Paris de supprimer les aides aux surfaces peu productives est simplement la suivante : faut-il sacrifier l’agriculture spécifique corse sur l’autel de l’uniformité européenne ?

La Corse a besoin d’une agriculture qui nous nourrisse

La réponse à cette question concerne toute la société corse. Cette île est potentiellement riche, même si elle a été artificiellement appauvrie par des politiques de “développement” inadaptées. C’est l’ile la plus arrosée de Méditerranée. Elle a eu la chance de refuser le virage productiviste qui a appauvri et pollué durablement les sols de bien d’autres régions d’Europe. 

Le choix de l’Etat français en matière de politique agricole transparait clairement à travers les actes et les déclarations : une agriculture productiviste, industrielle, qu’illustre, par exemple, le report de l’interdiction du glyphosate, ou les conséquences des Etats Généraux de l’alimentation, unanimement jugés favorables exclusivement aux industriels de l’agroalimentaire… Et même là, si l’on en juge par les manifestations des agriculteurs du continent, il ne répond pas aux attentes. Car la politique de Macron, dans ce domaine comme dans d’autres, est constante : aider quelques filières dites d’excellence, capables de trouver leur place dans la compétition mondiale, et sacrifier tout le reste.

Mais l’agriculture a une autre fonction que de participer à la compétition mondiale. Elle doit, d’abord, nous nourrir. Imagine-t-on les Corses ne se nourrir que de clémentines, filière d’excellence mise en exergue par Emmanuel Macron lors de son premier déplacement sur l’île et de charcuterie AOP— autre filière d’excellence, de niche, qui certes fait la réputation de la Corse, mais qui reste réservée à celles et ceux qui ont les moyens de se payer des produits de haut de gamme —, arrosée de quelques crus de haute volée ? Aujourd’hui, 80% de la viande consommée en Corse est importée du continent ou d’ailleurs. Alors que le potentiel existe pour inverser ce rapport. Et des projets comme Vaccaghja Energia — favorisant la structuration de la filière bovine dans un cercle vertueux d’économie circulaire qui permettra aussi de traiter des déchets et de produire de l’énergie —, porté par le Président de Chambre d’Agriculture de Haute Corse, ou de développement de filière céréalière, soutenu par le Président de l’ODARC, ou d’autres encore autour du pastoralisme, ne manquent pas pour développer une agriculture corse au service des Corses et de la Corse.

Pour développer cette agriculture, il faudra probablement faire évoluer la façon dont les agriculteurs sont aidés. Mais ce n’est pas en les achevant d’abord qu’on y arrivera ! L’évolution de ces aides doit être menée de façon concertée, avec les acteurs de notre territoire, en intégrant la durée, et en mettant au premier plan les besoins de la Corse, pas ceux de Paris.

Un Etat qui montre une fois de plus sa mauvaise volonté

Or, au-delà des discours et des protestations de bonne volonté, l’attitude de l’Etat depuis des mois ne vise qu’une chose : stigmatiser les agriculteurs corses, et semer la division. Les contrôles aux apparences anodines qui ont mobilisé le devant de la scène il y a quelques mois, déploiement de gendarmes à l’appui, s’inscrivaient, on le voit aujourd’hui, dans une stratégie simple : faire croire aux Corses que leurs agriculteurs sont des tricheurs, et préparer ainsi le coup suivant, qui consiste à supprimer les aides d’une grande majorité d’éleveurs. Quand toute une profession se trouve ainsi mise “hors la loi”, il n’y a que deux hypothèses : soit on veut faire disparaître cette profession, soit la loi est inadaptée.

Clairement, les Corses ne peuvent pas laisser disparaitre leurs éleveurs. Parce qu’ils font partie de l’histoire de cette île. Parce que qu’ils sont en capacité, avec une politique adaptée, de nourrir les habitants de cette île. Parce qu’ils sont en première ligne pour empêcher la désertification  saisonnière mortifère de l’intérieur, avec son cortège d’incendies. Et aussi parce que, dans les incertitudes d’un monde soumis aux crises écologiques, économiques et géostratégiques que nous connaissons, la nourriture pourrait devenir une arme, et l’autosuffisance alimentaire une garantie de paix et d’avenir.

Défendre les agriculteurs corses, c’est, aujourd’hui, défendre l’avenir de la Corse. Cela passe très concrètement par défendre des aides qui ne sont pas la panacée, mais dont la refonte éventuelle ne peut se faire que dans la concertation et dans la progressivité. Nous ne pouvons pas laisser l’Etat français utiliser Bruxelles pour détruire cette île. Il y a 44 ans, à Aléria, c’est déjà la gestion par la France de la politique agricole en Corse qui a provoqué la prise de conscience de l’absolue nécessité de défendre notre terre. Les Etats ont la rancune tenace, dit-on. Ne laissons pas l’Etat français se venger d’Aléria en détruisant une composante essentielle de notre agriculture et de notre culture.

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