L’indépendance nécessaire…

Corsican_FlagUne de mes relations sur Twitter écrivait récemment : « Je suis nationaliste, je veux une large autonomie pour notre île, et, pourquoi pas, à terme, rêvons, l’indépendance » Et si l’indépendance n’était pas un rêve, mais la seule option réaliste ? Et si “à terme” devait signifier le plus tôt possible ? Et si, enfin, l’indépendance de nations comme la Corse n’était pas, au XXIe siècle, l’exception, mais la règle ?

56% des Corses ont voté pour les Nationalistes de Pè a Corsica en 2017. C’est une très belle majorité, et une option claire pour une autonomie renforcée. Mais on est loin d’une majorité indépendantiste. L’accord de mandature conclu en 2015 pour 10 ans a d’ailleurs exclu clairement l’indépendance des options à court terme. Ce qui semble un choix raisonnable l’est-il vraiment ? Y a t-il une place pour une réelle autonomie au sein de la République française ? L’indépendance de la Corse est-elle au mieux un mythe, au pire un cauchemar, comme on l’entend parfois ? Les lignes qui suivent vont tenter, sinon de prouver le contraire, du moins d’ouvrir la porte à une réflexion dépassionnée sur le sujet.

L’autonomie impossible

1200px-Sans_issue.svgJe ne reviendrai pas sur les multiples escarmouches entre la majorité nationaliste et le Président Emmanuel Macron ou son gouvernement. Elles ont été largement commentées, ici et ailleurs. Au-delà de la fixation apparente du Président français sur l’exigence de repentance des Corses par rapport à la mort du préfet Erignac, c’est en effet un tropisme bien plus profondément ancré que l’ego triomphant d’un éphémère Président qui est à l’œuvre. Toute l’histoire de France des deux derniers siècles démontre à tout observateur objectif qu’une autonomie différenciée de ses territoires est incompatible avec l’ADN de la République. Un peu plus de deux siècles en réalité, puisqu’il faut au moins remonter la source de cet ADN à la victoire des Jacobins sur les Girondins, si ce n’est au-delà. C’est peut-être d’ailleurs un Corse qui, en devenant Empereur, puis en perdant les conquêtes qui avaient transformé l’Europe, a contribué à figer dans le marbre des traumatismes non dépassés le mythe de la République Une et indivisible, égalitaire, uniforme. 

Ne cherchons pas à psychanalyser la France. Regardons simplement l’histoire si spécifique de la décolonisation française, en contraste avec celle de la Grande Bretagne et du Commonwealth actuel. Que d’occasions perdues dans les discussions avec Ho Chi Minh en 1945-1946 ! La rigidité d’une position française ne concevant pas autre chose qu’une Union française aux ordres de Paris a fait capoter les accords de paix dans lesquels, pourtant, Ho Chi Minh était allé très loin dans les concessions. Quelques années plus tard c’est aussi l’intransigeance française en Algérie qui a balisé une voie royale pour le FLN, en empêchant toute réforme et en détruisant la crédibilité de ceux des Algériens qui auraient voulu avancer plus pacifiquement vers une autonomie maitrisée. Il est courant de reprocher cette intransigeance à la paralysie de la IVe République. Mais la Ve est-elle très différente ? Certes, le Général de Gaulle a fait la paix en Algérie, mais, moins de trente ans plus tard, il aura fallu les morts d’Ouvéa pour ouvrir des discussions, interminables, sur l’avenir de la Nouvelle Calédonie. Et la France est le seul pays occidental à compter encore des territoires “à décoloniser“ selon les critères de l’ONU. Dans une rubrique moins dramatique, mais tout aussi révélatrice, les Corses ont eu il y a peu la surprise de voir un tweet officiel du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères glorifier, à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance, Choiseul et son œuvre, en particulier le rattachement — par la force et dans le sang, faut-il le rappeler — de la Corse à la France. 

Toujours est-il que l’histoire de France des dernières décennies montre qu’aucune avancée vers une différentiation des territoires n’a pu se faire autrement qu’en étant arrachée par la force. C’est le cas bien évidement des anciennes colonies, qui ont toutes eu à combattre, souvent très durement, pour leur indépendance. C’est le cas en Nouvelle Calédonie. Et même lorsqu’une autonomie est accordée après de dures luttes, l’administration française continue à la freiner, comme l’ont rappelé les conditions du référendum d’autodétermination en Nouvelle Calédonie. Peut-être faut-il chercher les sources de cet acharnement dans une particularité que pointait Tocqueville. Pour lui, alors que la République naissante aux Etats-Unis d’Amérique choisissait la voie de la démocratie fédérale et même communale, la France, République, Empire et Restauration confondus, choisissait la voie de la bureaucratie. Or, une bureaucratie a besoin d’administrés, pas de citoyens libres et responsables ; une bureaucratie tire son efficacité de l’uniformité ; une bureaucratie défend toujours le statu quo. Il est peut-être en France quelques hommes politiques courageux qui osent s’opposer à cette bureaucratie. Certains peuvent même penser que, sur le terrain social ou économique, Emmanuel Macron fait partie de ces hommes courageux qui osent affronter la bureaucratie. Mais qui peut croire que quelqu’homme politique français que ce soit irait risquer sa carrière pour une île de 300 000 habitants ? Qui peut croire qu’un homme politique français oserait s’attaquer aux fondements même de l’Etat qui l’aurait porté au pouvoir ?

L’indépendance réalisable

Admettre l’idée que l’autonomie politique de la Corse ne pourra jamais voir le jour paisiblement, sans l’arracher pièce par pièce, et qu’elle ne sera jamais durablement acquise tant que la Corse restera dans la République française, ne suffit pas à rendre l’indépendance attractive. Beaucoup en effet pensent que notre île est trop petite pour vivre seule, et qu’il faut donc bien se résoudre à composer avec la France, comme il avait fallu composer avec Pise, puis Gênes. 

4_piliersCette croyance fait deux impasses : premièrement, le monde a beaucoup changé depuis le XVIIIe siècle, et les solidarités entre pays voisins se jouent bien plus sur le terrain économique que par un protectorat politique ; deuxièmement, les petites économies sont aujourd’hui souvent bien plus florissantes que les grosses, et la crise économique de ces dernières décennies signale une mutation vers un autre modèle de développement, faisant la part bien moins belle au gigantisme.

Démontrer ces deux postulats demanderait des développements qui n’ont pas leur place ici. Je me bornerai à souligner quelques exemples. D’abord sur la notion de solidarité. On oublie que derrière ce mot se cachent non des valeurs morales, mais des exigences bien plus terre à terre ! Le terme nous vient du latin solidus, qui caractérise les liens d’interdépendance de débiteurs entre eux. Et les relations chaotiques entre la Chine et les Etats-Unis de Trump, endommagées à plusieurs reprises, mais toujours restaurées, soulignent combien la solidarité est d’abord aujourd’hui une question de relations économiques et commerciales. La prospérité relative dans laquelle vit notre monde du XXIe siècle ne peut durer que si chaque pays aide son voisin avant qu’il ne s’effondre. Une Corse ruinée au milieu d’une Méditerranée prospère est tout simplement impossible. La solidarité de nos voisins n’est certes pas un dû, mais elle s’exprimerait naturellement, et peut-être même plus facilement, sans les contraintes que nous impose l’Etat français, comme l’a rappelé en 2017 l’épisode de la mise à disposition par l’Italie de moyens aériens de lutte contre les incendies, ralentie de 48h par les tergiversations de l’administration française, alors que l’urgence et le feu faisaient rage.

Mais surtout, il faut aller plus loin. Notre île est riche. Elle est géographiquement bénie des dieux, en étant l’île méditerranéenne la plus arrosée. Elle occupe une position au centre de la Méditerranée. Elle dispose d’un potentiel agricole et pastoral qui ne demande qu’à donner sa vraie mesure. Quant à l’insularité, si elle est clairement un handicap quand on choisit de fabriquer des biens pondéreux dont le marché est extérieur, elle ne présente en revanche aucune contre indication dans une économie de la connaissance et de l’intelligence comme le devient celle de notre siècle. Au contraire, l’attachement des Corses à leur île peut devenir un différentiateur extraordinaire, en matière de fidélité, de motivation, de ressources relationnelles, pour faire venir ici des investisseurs high-tech. A condition toutefois d’avoir les moyens de s’engager…

L’indépendance souhaitable

Et c’est bien cela qui rend l’indépendance souhaitable. On connait le tropisme centralisateur de la France. On mesure chaque jour son extrême difficulté à prendre en compte nos spécificités économiques et sociales, que ce soit en matière de définition des parcours pastoraux, d’initiatives sociales comme les Territoires Zéro Chômeurs Longue Durée, de politique de santé. Au-delà de l’agacement que peut provoquer le parisianisme des décisions ou l’arrogance de l’Etat et de ses représentants, c’est sa contre productivité qu’il nous faut comprendre. Investir en Corse, pour un grand patron international, c’est
cumuler les risques, en ajoutant à l’instabilité française bien connue en matière fiscale et sociale le fait de venir dans un territoire délaissé par l’Etat.

employee_engagementA l’opposé, une Corse indépendante saurait honorer les éventuelles promesses qu’elle ferait à des investisseurs, saurait se donner les moyens d’une vraie continuité territoriale européenne, saurait adapter ses lois sociales, fiscales et économiques aux besoins de son développement et non à ceux du développement des métropoles continentales. Il y a beaucoup à faire pour construire notre vision économique d’une Corse indépendante. Mais, si nous cessions de perdre notre temps à quémander des aménagements à un Etat frappé de surdité chronique, notre énergie commune nous permettrait de tracer les choix et de la mettre en place. Et, disons le clairement, puisque c’est aussi une rengaine que l’on nous sort parfois : l’indépendance de la Corse ne serait pas donner l’île à la mafia, mais au contraire se donner les moyens de lutter enfin efficacement contre elle, contrairement à un État français qui a toujours privilégié la guerre contre le FLNC.

L’indépendance est en réalité le seul moyen de nous donner une véritable sécurité. C’est le seul moyen de maîtriser nos choix sociaux, économiques, culturels.

Là où il y a une volonté, il y a un chemin…

Korsikabahn01aSouhaitable, réalisable, nécessaire. Que dire de plus, si ce n’est rappeler la formule ci-dessus, attribuée régulièrement à tant de célébrités, de Lao Tseu à Lénine… Ce chemin n’est pas tout tracé, et il y aura à défricher au passage. Mais pas plus que sur les autres chemins de notre siècle où l’incertain domine largement. 

Et ce chemin a été parcouru pas un nombre impressionnant de nouveaux Etats au cours des décennies passées. L’ONU comptait 51 membres à sa fondation en 1945, 193 en 2011. Une bonne partie de la différence vient de la décolonisation, mais le processus est constant et ne semble pas en voie de s’arrêter. Entre 1991 et 2011, pas moins de 34 nouveaux Etats ont rejoint l’Organisation. Parmi eux, les Etats baltes et les anciens constituants de la Yougoslavie, bien sûr, mais aussi, aux côtés d’Andorre ou de Saint-Marin, les Iles Marshall, les Etats fédérés de Micronésie, Kiribati (811 km2, 110 000 habitants), Tonga (745 km2, 100 000 habitants), Tulavu (26 km2, 11 000 habitants !), … Pour être complet dans la liste des Etats, il conviendrait d’y ajouter les quatre non-membres, mais pourtant reconnus : le Vatican, les iles Cook et Niue (Etats indépendants en libre association avec la Nouvelle Zélande), l’Etat de Palestine. Et les Etats dont la reconnaissance est partielle ou en cours, comme la République Saharaouie, Taïwan ou le Kosovo. Bref, l’indépendance des Etats, petits ou grands, est la norme et non l’exception. Les solidarités inter-nationales trouvent aujourd’hui d’autres façons de s’exprimer que les Empires des siècles passés…

Peut-être que, malgré tout cela, l’indépendance de la Corse n’est pas encore une perspective crédible à très court terme. Mais ce qui doit être fait dès maintenant, c’est tordre le coup à nombre d’idées reçues, démontrées fausses par l’histoire de ces dernières années. Ce qui doit être fait dès maintenant, c’est ouvrir la perspective, en refusant de se laisser enfermer dans une pensée ersatz qui prouve régulièrement, ici et ailleurs, son incapacité à saisir la complexité du monde et les enjeux de la crise systémique qui le secoue. 

Alors, disons à nos amis français et à leur gouvernement : la façon la plus efficace pour vous débarrasser enfin du problème corse, c’est d’entamer sans tarder un dialogue sur un processus conduisant à notre indépendance. Mais surtout, disons clairement aux Corses : le choix ne se situe pas entre une large autonomie dans la République ou un chemin chaotique vers l’indépendance, mais entre d’une part une soumission mortifère transformant notre île en centre de vacances appauvri pour riches continentaux, d’autre part le chemin d’une prospérité maîtrisée et solidaire dans l’indépendance. 

3 commentaires

  1. L’independance à toujours été la meilleure solution
    Le problème sa toujours été nos dirigeants.. Comme aujourd’hui…
    Qui appel et vont comme les autres la part belle à Internet furesteri…je vote non pas pour eux mais contre l’Etat français
    Je suis tellement dégoûter.. Que j’en suis devenu fataliste
    Ce n’est même plus un rêve..
    Je vais mourrir coloniser et cum un furesteri il dîme…
    À moins d’un miracle
    De même nos dérogeant que nous sommes un Royaume.. Celui di à SANTA..notre Hymne… Et l’alegeance que nos ancêtres ont fait… Trop à dire

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  2. Contre l’évidence même, MACRON refuse d’admettre, une réalité naturelle, pourtant admise par tous:
    Une île est un système endémique spécifique, qui, en tant que tel, appelle et nécessite des réponses spécifiques adaptées. D’ailleurs, cette évidente réalité, a, bel et bien été reconnue, pour la Polynésie « Française » et la Nlle-Calédonie, tout autant française, malgré une très très large autonomie.
    Dans son attitude d’autisme politique, total, envers la Corse, MACRON et son équipe, réhabilite avec éclat et incarne la pensée rétrograde et intégriste, la plus traditionaliste,que l’ethnocentrisme franco français, le plus pur, ait jamais enfanté. Cet ethnocentrisme intégriste justifie la négation même de l’existence d’un pays, d’un peuple, de sa langue et de sa culture propre, interdisant même de nous accorder les droits et responsabilités, pourtant octroyées à d’autres îles françaises, sans même comparer, crime de lèse-francité, avec d’autres îles européennes. Sous son règne, la France raciste refuse de reconnaître un de ses enfants, parce qu’il est trop différent.
    Nous n’avons donc rien à attendre de cet intégriste nationaliste, à l’esprit congelé, pas même la reconnaissance du sacrifice de nos Pères pour sauver son pays.
    SON ATTITUDE, NIANT NOTRE EXISTENCE ET SON COMPORTEMENT, EXPRIMANT LE MÉPRIS, À NOTRE ÉGARD NOUS ENCOURAGENT, INÉLUCTABLEMENT, À PRENDRE, PLEINEMENT ET ENTIÈREMENT , TOUTES NOS RESPONSABILITÉS: LEVONS-NOUS ET AGISSONS !!!!

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