Chacun se souvient en Corse de l’incendie de la paillote “chez Francis”, et des gendarmes incendiaires du préfet Bonnet. Les temps et les manières ont changé. Mais qu’en est-il du fond du problème ? Une dépêche de l’Agence Reuters datée du 3 juin titrait : « la guerre des paillotes relancée en Corse »… Guerre entre qui et qui ?
Une véritable question économique
Les paillotes ne font pas plus partie du patrimoine culturel corse que le saucisson d’âne. Mais, à la différence de ce dernier, elles représentent et conditionnent une véritable activité économique, créatrice d’emplois, sur notre île. On peut regretter l’envahissement de nos plages par des touristes en recherche de bronzette plus que de découverte culturelle. On peut même souhaiter un autre type de développement de notre économie, avec un tourisme différent, étalé sur l’année, curieux de notre culture. Mais on ne peut pas biffer d’un simple trait de plume réglementaire une activité qui, dans l’ensemble, a l’immense avantage d’avoir été créée et développée par des Corses.
La seule façon d’aborder intelligemment cette question, dans un esprit de respect mutuel, c’est de conduire une négociation sérieuse, qui intègre les leçons de l’expérience des professionnels du secteur autant que les exigences en matière d’environnement et de respect du PADDUC. Je ne suis pas un professionnel du secteur. Mais quand un César Filippi me dit : « mes clients ne viendront plus s’ils ne peuvent avoir un accueil confortable
sur la plage », je le crois, parce qu’il sait de quoi il parle dans ce métier qu’il pratique
depuis des décennies. Il y a forcément une solution rationnelle à la question des paillotes, une solution qui permette aux professionnels du secteur de s’en sortir par le haut. Ce n’est pas l’application rigide d’un règlement qui peut permettre de la trouver.
Un domaine public maritime, pour qui ?
Allons un tout petit peu plus loin. AOT, Autorisation d’Occupation Temporaire du domaine public maritime. Quelle belle appellation ! Mais, au fait, c’est quoi, un “domaine public”. Quelque chose qui appartient à l’Etat, ou quelque chose qui appartient “au peuple”, en l’occurrence, aux Corses ? Question naïve, me direz-vous. Pourtant, quand on constate le traitement différencié qui est fait, sous les ordres de la Préfète de Corse, à ces occupations temporaires, on peut s’interroger sur la privatisation de fait de nos plages au profit des amis de l’Etat. Pourquoi donc le Club Med de Cargese voit-il son AOT étendue sans aucune réticence par l’Etat ? Pourquoi donc le Sofitel de Porticcio se voit-il, dans les faits, accorder sans permis de construire des pontons en dur ? L’Etat se comporte en l’occurrence comme si le Domaine Public Maritime était SA propriété.
Une gestion collective de ce DPM est bien évidemment à promouvoir. Il ne saurait être question de laisser privatiser les plages corses, comme le sont celles de la Costa Brava ou d’autres. Mais cette gestion n’a aucune raison d’incomber à l’Etat. C’est à la Collectivité de Corse et aux maires des communes littorales de négocier avec les professionnels du secteur pour trouver une solution qui préserve les intérêts de tous, à commencer par ceux des Corses. Qui pourra croire que ceux-ci seraient mieux préservés en mettant en place des concessions au profit de Vinci ou autre trust, à l’instar de ce qui se fait à La Baule ?
Un pouvoir régalien détourné de sa fonction légitime
Venons-en, pour terminer, au triste spectacle qui s’est déroulé sur la plage de Palombaggia ce lundi 3 juin. Cette horde de gendarmes (une quarantaine, quand-même !), à l’aube, s’acharnant à démonter et à confisquer parasols, transat et tables de plage, a évoqué irrésistiblement en moi deux souvenirs : le célèbre Gendarme de Saint-Tropez traquant les nudistes d’une part, le non moins célèbre propos de Georges Pompidou, en 1966, alors qu’il était Premier Ministre, « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays. » L’un comme l’autre — le premier par l’humour de la caricature, le deuxième par l’aspect incisif du propos — rappellent que la puissance publique tire sa légitimité de la sécurité qu’elle apporte au peuple et non de sa propre logique invasive. Or, utiliser un déploiement de gendarmerie pour confisquer du matériel de plage bien inoffensif, est-ce là le bon usage de ce pouvoir régalien de l’Etat ? N’y a-t-il donc pas, en Corse, d’autres sujets plus brûlants qui mériteraient de mobiliser nos gendarmes ? Pas de trafic de drogue ? Pas de règlements de compte entre gangsters ? Pas de routes dangereuses qui prélèvent régulièrement leur dîme en accidents mortels ?
C’est bien à un détournement de fonction auquel nous assistons là. Qui nous rappelle que l’Etat français a en Corse un pouvoir de nuisance bien supérieur au pouvoir, que lui prêtent d’aucuns, d’assurer notre sécurité et le bon fonctionnement d’une société apaisée.
Au-delà des paillotes, la question posée par les AOT, le DPM et l’utilisation qui est faite de ces règlements par l’Etat est bien celle de savoir à qui appartient la Corse. Sur ce blog, notre réponse est claire. Elle appartient aux Corses, dans le respect et l’amitié avec les autres peuples, et pas à un Etat qui se croit encore, ici et ailleurs, à la belle époque des colonies.