Donald Tusk affirmant « [qu’]il y a une place réservée en Enfer pour les tenants du Brexit ». Le gouvernement d’Emmanuel Macron rappelant l’ambassadeur de France en Italie pour protester contre « l’inadmissible ingérence d’un pays ami » qui a osé exprimer son soutien aux Gilets jaunes. Le procès de ministres catalans emprisonnés pour avoir tenu un référendum d’autodétermination dans leur pays. L’image que donne l’Europe en cette année d’élections est pour le moins chaotique. Et ce n’est pas mieux en France, où perquisitions politiques — Mediapart, France Insoumise —, loi anti-casseur, re-centralisation autoritaire plus ou moins larvée viennent encore alourdir un climat déjà plombé par la répression particulièrement vive lors des manifestations de Gilets jaunes.
Peut-on voir là autre chose que les dérives de pouvoirs aux abois ? Peut-on encore retrouver un cap qui rétablisse un peu de sérénité ?
Quand les pouvoirs sont en danger…
L’histoire ne se répète pas, nous l’avons déjà écrit plusieurs fois sur ce blog. Mais elle n’en contient pas moins des enseignements. Le premier d’entre eux, le plus permanent peut-être à travers les siècles, c’est qu’un pouvoir qui se sent en danger se durcit. En France, par exemple, la révolte des Bonnets Rouges en 1675 n’a été matée que par l’assassinat de son principal meneur, Sébastien Le Balp, suivi d’une répression dont la Bretagne garde encore la mémoire. La Commune est morte dans le sang, et a été suivie de déportations massives sur une échelle jamais enregistrée auparavant.
Les temps ont changé et nous n’atteignons pas ces excès. Est-ce impossible pour autant ? L’histoire du XXe siècle devrait nous rappeler que, si le pire n’est jamais sûr, il ne peut non plus jamais être totalement exclu. Or, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, en Europe, mais pas seulement, c’est à une mise en cause généralisée des pouvoirs établis. La réponse qu’ils y apportent, c’est une crispation autoritaire de plus en plus manifeste.
De réels risques pour notre démocratie
« Tout ce qui est excessif est insignifiant », disait Talleyrand. Gardons-nous donc de l’excès de dénonciation. Nous sommes encore en démocratie, imparfaite certes — la perfection démocratique est-elle de ce monde ?—, mais une démocratie qui nous donne encore la possibilité d’influencer les décisions par nos votes.
Cependant, comment ne pas ressentir un certain trouble face aux commentaires des députés de La République en Marche qui ce sont abstenus lors du vote sur la loi anti-casseur ? Leur discours se résume à peu près à ceci : cette loi serait très dangereuse si des forces non démocratiques arrivaient au pouvoir, mais nous faisons confiance au gouvernement. Quelle invention étonnante ? Une loi bonne tant que certains partis gardent le contrôle, mauvaise si d’aventure ils le perdent ? D’ici à ce que nos prochaines élections se jouent sur le thème « Attention, ne laissez pas notre loi anti casseurs tomber en de mauvaises mains »…
L’appréciation d’une loi ne peut pas dépendre de qui est en charge de la mettre en œuvre. Ce serait la négation même de l’Etat de Droit. Une loi est bonne ou mauvaise. En l’occurrence, force est de constater qu’au cours de ces dernières années, la lutte contre le terrorisme et aujourd’hui contre les “casseurs”, n’a cessé de fournir le prétexte à des lois de plus en plus répressives. Et on sait déjà qu’elle peuvent, même avec un gouvernement démocratique, être détournées de leur but initial. Les prisonniers politiques corses, soumis à l’inscription au FIJAIT, (fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes) en savent quelque chose. Le juge de la liberté et de la détention du TGI de Paris n’a-t-il pas indiqué, en acceptant l’effacement de l’un d’eux du FIJAIT, que « les infractions commises par le militant ne correspondaient pas à la finalité du FIJAIT : combattre le terrorisme djihadiste »? Le parquet a néanmoins jugé bon de faire appel, et il y a plus de trente autres militants corses indûment inscrits dans ce fichier.
Le peu de cas que notre actuel Président de la République semble faire de l’expression démocratique d’avis contraires au sien est illustré à l’envi ici en Corse, mais aussi dans ses propos sur le grand débat national qu’il a pourtant lui-même organisé — j’en tiendrai compte, mais je ne changerai pas de ligne —, comme dans la façon dont il continue de s’engluer dans “l’affaire Benala”. Sur quoi est donc fondée l’illusion que notre démocratie ne serait pas vraiment en danger ?
Un mouvement à contresens
Au-delà des lois répressives, le parti actuellement au pouvoir en France se distingue aussi par la recentralisation qu’il met plus ou moins ouvertement en place dans tous les domaines. La promesse d’un pacte girondin semble bien éloignée, quand une réforme du bac vient piétiner 35 ans d’avancée dans la reconnaissance de la diversité des cultures de l’hexagone. Le pouvoir accru des Préfets est lui aussi, si on observe attentivement, un retour à avant la réforme Defferre de 1982, la première décentralisation que connaissait la France.
Le problème, c’est que le monde a profondément changé. L’accroissement du niveau d’instruction, la globalisation de l’économie, qui va de pair avec celle des problèmes — écologie, migrations, … —, les défis technologiques, les défis éthiques qui les accompagnent, la vitesse de propagation de l’information, vraie ou fausse, tout cela en fait un espace devenu extraordinairement complexe. Oh, la vie n’est pas plus compliquée qu’avant ! Elle est simplement plus complexe, parce que les interactions sont plus fortes et plus multiples.
Face à la complexité, il n’y a que deux façons de simplifier : ignorer la multiplicité des options, ou la prendre en compte. La première s’appelle la dictature, qu’elle soit exercée par une poignée de technocrates en costumes ou de militaires en treillis. La deuxième exige la mise en œuvre d’un principe simple : la subsidiarité de communautés “à échelle humaine”. Parce que nous ne serons jamais tous d’accord, il faut que le territoire sur lequel portent les décisions soit réduit et non agrandi. Bien sûr, ces décisions doivent prendre en compte les autres : cela s’appelle solidarité, au sens étymologique du mot. Mais elles ne doivent pas être imposées par les autres, faute de voir disparaître cette démocratie qui a permis de libérer tant d’énergies pour développer notre monde. Ces énergies seront vitales pour relever les défis écologiques qui attendent une planète à plus de 8 milliards de personnes.
Les dérives autoritaires que montrent aujourd’hui différents Etats européens devraient nous rappeler que la Démocratie est fragile, et que ces Etats, dont la philosophie semble ne pas avoir beaucoup évolué au cours des deux derniers siècles, ne sont peut-être plus les mieux placés pour la défendre.
Refonder la Démocratie sur des bases qui reconnaissent le droit des peuples à l’autodétermination, sur des bases qui reconnaissent la multitude des cultures et la riche complexité de notre monde, sur des bases qui permettent aux différents peuples qui composent la mosaïque européenne, y compris ceux — Corses, Catalans, Ecossais, etc. — qui aujourd’hui n’ont pas d’Etat reconnu, de choisir librement leur destinée, d’assumer librement leur statut de Nations, ce n’est pas seulement une option parmi d’autres. C’est la seule façon d’assurer un peu de sérénité dans une Europe qui en manque aujourd’hui cruellement, et au-delà. Et cela devient urgent !