La fin d’un marché de dupes ?

Tous les États modernes reposent sur un “marché” : acceptons de renoncer (un peu ou beaucoup) à nos libertés en échange de la sécurité. Ceci est vrai pour les États les plus totalitaires — la sécurité étant alors, très souvent, simplement la vie sauve — comme pour nos États démocratiques — la sécurité incluant alors le social. Mais les Gilets jaunes, après d’autres, nous rappellent que ce “deal”, en tous cas au plan social, ne tient plus. Alors ?

Un marché de dupes

silhouette-3636336_960_720Quand on regarde les dizaines de milliers de règlements qui s’imposent à nous — sur les routes, dans l’entreprise, dans la vie quotidienne et même, aujourd’hui, dans la famille —, on ne peut que constater que notre renoncement à une part significative de nos libertés est bien réel. Mais qu’en est-il de l’autre part du marché ?

D’abord, pour ce qui est des “menaces extérieures”, celles qui sont le plus au cœur des pouvoirs “régaliens” des États, il est temps de démasquer une imposture, dénoncée en son temps par Jaurès — qui y laissa la vie — ou Camus, pour n’en citer que deux. Non, les États ne nous protègent pas des guerres, ils les provoquent. Un peu de lucidité sur l’histoire du XXe siècle et du début du XXIe ne peut qu’en convaincre un esprit de bonne foi. La Première Guerre mondiale était la conséquence directe de l’affrontement OLYMPUS DIGITAL CAMERAd’impérialismes étatiques. Les premiers à y mettre fin furent les Bolcheviks, juste après qu’ils eurent renversé l’État qui l’avait engagée. Qu’ils aient vite oublié leurs bonnes résolutions une fois devenus eux-mêmes un État, et que le traité de Brest-Litovsk ait été dû à l’effondrement de l’armée tsariste et aux désertions en masse ne change rien au fait que les peuples ne veulent généralement pas la guerre… Pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, la reconnaissance de l’absolue légitimité à défendre la démocratie contre le nazisme ne devrait pas nous condamner à la cécité devant les responsabilités des États vainqueurs de la Première Guerre mondiale dans la montée d’Hitler, ni devant l’ignorance qu’ils ont affichée des tortures infligées par les Nazis à une partie du peuple allemand — juifs, homosexuels, opposants — jusqu’à ce que Hitler s’attaque à leur propre “intégrité territoriale”. 

Après 1945, les menaces d’attentats subies par les populations ont été le fait des guerres de décolonisation, là encore imputables aux États et non aux peuples. La Guerre froide, les multiples guerres localisées, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est, en Afrique, au Moyen-Orient n’ont que peu à voir avec la liberté des peuples, et beaucoup avec les intérêts des oligarchies qui soutiennent les États.

Passons à la protection contre les menaces intérieures. Force est de constater qu’il y a en la matière pour le moins deux poids deux mesures. Les Corses n’ont certainement pas oublié qu’il leur fallu se défendre eux-mêmes contre les boues rouges déversées impunément par Montedison dans les années 70. En matière de criminalité même, de nombreux ouvrages démontrent régulièrement les liens coupables qui existent — épisodiquement ? — entre appareil d’État et grande délinquance. Quant à la lutte contre le terrorisme islamiste de ce début de XXIe siècle, ce n’est pas faire injure aux services occupés jour et nuit à notre protection que, d’une part, de constater que celle-ci n’est pas totale — la fusillade du Marché de Noël à Strasbourg  pour laquelle le suspect est un “fiché S” vient nous le rappeler —, d’autre part de s’interroger sur ce que serait l’espérance de survie de ces réseaux islamistes s’ils n’étaient soutenus en sous-main par des États du Moyen-Orient, régulièrement dénoncés par les médias et les organisations non-gouvernementales, mais  jamais sanctionnés ! En revanche, cette lutte contre le terrorisme est bien pratique pour justifier de nombreux abus, subis en particulier sur notre île par d’anciens prisonniers politiques — FIJAIT, fichier ADN, vexations diverses —, qui ont plus à voir avec la protection de l’Etat lui-même qu’avec celle de la population.

Quand on n’a plus les moyens

Comment se fait-il que cette supercherie, pourtant régulièrement dénoncée, ait la vie si dure ? Parce qu’en 1945, l’État a ajouté à sa panoplie d’outils sécuritaires… la Sécurité Sociale. Il faut dire qu’à l’époque, il n’était guère crédible en matière de protection contre les menaces extérieures ou la délinquance intérieure ! Mais la sécurité sociale, au sens bankrupt-2340287_960_720large, coûte très cher. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’espérance de vie à la naissance était inférieure à l’âge de la retraite de l’époque. Aujourd’hui, elle l’excède de vingt ans. Les attentes des salariés étaient en gros d’avoir de quoi se vêtir et se nourrir. Aujourd’hui, ils veulent des loisirs, des vacances, des voyages, de la culture, de l’accès aux études pour leurs enfants, etc. Il est évident que toutes ces aspirations sont parfaitement légitimes, et qu’elles sont le signe des progrès notables accomplis en termes de qualité de vie au cours de ces dernières décennies. Mais il est tout aussi évident qu’un système conçu dans des conditions radicalement différentes atteint ses limites. L’État ne peut plus acheter la paix sociale en étant “Providence”1. Il a donc essayé d’autres pistes pour cultiver nos peurs, et partant notre docilité en échange de sa protection. 

L’approche “juridiction d’exception” et l’hypermédiatisation de la lutte contre le terrorisme en est une. La “lutte pour le climat“ en est une autre. Là encore, on échangerait notre liberté contre notre sécurité à long terme et celle de nos enfants, garanties par un Etat vraiment plein d’imagination. En effet, non seulement cette “protection”-là ne lui coûte rien, mais elle lui rapporte ! C’est en son nom qu’on augmente les taxes sur le carburant. C’est en son nom qu’on met sur les voitures des malus dont le total excède largement les bonus concédés sur quelques voitures dites propres. 

Mais les Gilets jaunes ont fait craquer, du moins momentanément, ce bel édifice. Ils ont rappelé que la pauvreté ne pouvait pas être écologique. Ils ont rappelé que la défense du futur de notre planète ne pouvait pas passer par un gonflement d’un État déjà obèse. Qui peut croire que le lobby électro-nucléaire, qui continue à faire la pluie et le beau temps en France, se soucie le moins du monde de l’avenir de l’humanité ? Qui peut croire que les “grands patrons” qui ont soutenu le Président actuel quand il était candidat — Vivendi, Darty, LVMH, etc.2 — l’ont fait pour mieux sauver la planète ? Lorsque j’étais au Ministère de l’Environnement de 1983 à 1986, des experts de l’industrie automobile nous avaient montré que la technologie pour faire des voitures qui ne consomment que 2 litres d’essence aux 100 km était maîtrisée. Ils ont rangé cette technologie aux oubliettes sous la pression de leurs “partenaires” pétroliers. Il est de bon ton en France de montrer du doigt l’entreprise américaine Monsanto et de dénoncer ses atteintes à Erika_littoral_pollution_map-fr.svgl’environnement. Mais n’allons pas chercher si loin ! Total a son lot de pollutions impunies, sauf quand elles sont trop visibles. La situation a peu évolué depuis les boues rouges de Montedison. Pour protéger l’environnement en augmentant les taxes payées par les particuliers, l’État sera toujours partant. Mais s’attaquer aux vrais responsables, là, c’est plus difficile…

Liberté et responsabilité, un nouveau deal

BalanceSi le marché « Sécurité contre Liberté » ne tient plus, qu’est-ce qui peut alors faire sens ? Sommes-nous condamnés à renoncer à nos libertés en échange de rien, ou à choisir l’anarchie et ses territoires inexplorés ?

Si on veut sortir de ce dilemme insupportable, il nous faut retrouver confiance et regarder un peu de l’autre côté du miroir. Un titre de France Culture ce jour rappelait où nous en sommes arrivés : « Fusillade à Strasbourg : complotisme et défiance détruisent notre capacité à faire société »

Les serviteurs zélés de l’État nous ont tellement menti au cours de ces décennies que, maintenant qu’ils ne peuvent plus acheter notre aveuglement à coup de “protection sociale”, nous ne leur faisons plus confiance sur rien, et, pire, nous ne nous faisons plus confiance mutuellement sur grand-chose.

Faire société, pour reprendre le terme de France Culture, c’est restaurer cette confiance. Non dans l’État, mais dans les autres. Et pour cela, la liberté est la clef et non le verrou. Car être libre, c’est aussi être responsable. Etre libre, c’est devoir négocier avec l’autre, le reconnaître dans son altérité, sans pouvoir se camoufler derrière les règlements inventés Libertépar d’autres. Etre libre, c’est accepter d’être en charge de sa propre sécurité, et donc de la construire, forcément par la discussion, car seuls les États ont les moyens de la contrainte.

Le nouveau pacte à mettre en place n’est pas un marché gagnant-perdant Liberté contre Sécurité. C’est un équilibre gagnant-gagnant Liberté avec Responsabilité. Car dans cet équilibre, les deux membres du deal se renforcent mutuellement au lieu de s’exclure. Et permettent de construire une véritable sécurité collective durable. 

Bien sûr le cadre pour ce nouvel équilibre ne saurait être les Empires ou les restes d’empires hérités du siècle dernier. Un tel équilibre ne peut se construire que dans des territoires humains. La subsidiarité en est la porte d’entrée. A nous de nous en saisir, ici et maintenant, pour ne pas contempler passivement les ruines de ce qui fut un marché de dupes.


1 A ce propos, un ami chrétien me disait : on devrait cesser d’appeler “Providence“ ce type d’Etat ! La Providence, la vraie, ne nous a jamais demandé de renoncer à notre liberté, au contraire. Nous devrions choisir l’appellation anglaise « d’Etat bonne d’enfant” — Nanny State.

2 Source : Olivier Philippe-Viela — 20 minutes — 18/11/16

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