Ainsi donc, les habitants de Nouvelle-Calédonie ont choisi — provisoirement ? — de rester Français. Librement… Vraiment ? Au-delà des possibles manipulations du corps électoral, je m’interroge sur le bien-fondé même de ce référendum, et sur les chantages auxquels il a donné cours…
Chantage économique contre droit des Peuples…
Les derniers articles que j’ai pu lire avant le référendum, dans la presse française de toute obédience, soulignaient systématiquement l’impact économique du choix du 4 novembre : impact sur les mines de nickel, impact sur les retraites et autres minima sociaux, etc… Mais au nom de quoi ? Il semble communément admis que l’indépendance de la Nouvelle Calédonie aurait éteint la dette de la métropole à son égard, et forcément stoppé l’intervention “positive“ de la France dans l’économie de la Kanaky. C’est une vision pour le moins contestable.
D’abord, le nickel est une ressource stratégique pour la France. On voudrait nous faire croire que celle-ci investit dans les mines en Calédonie pour le bien de la population, kanake en particulier ? Quelle plaisanterie ! Si la France investit, c’est bien parce qu’elle en tire profit. Comme tous les chantages à l’emploi, ce type d’argument ne repose que sur du vent. Car, dans l’économie libérale qui est la nôtre, un investissement rapporte d’abord aux investisseurs. Les emplois créés ne sont pas des charges, mais des ressources créatrices de richesses. Autant dans le monde du service ou de l’industrie de transformation, ces emplois sont délocalisables à l’envi, autant, pour ce qui est de l’exploitation de ressources minières — ou agricoles, ou touristiques —, il n’en est rien, simplement parce que la géographie n’est pas délocalisable…
Quant aux transferts d’argent de la métropole vers la Nouvelle Calédonie, là encore, il y a matière à débat, ne serait-ce que sur le plan des principes moraux. Le peuple Kanak, envahi militairement vers 1850, exposé dans un enclos lors de l’exposition coloniale de 1931, admis au statut de citoyens seulement en 1946, ne serait-il pas largement créditeur, pendant encore quelques décennies ?
La décolonisation en option ?
Allons un peu plus loin dans la réflexion. On parle de décolonisation. Mais qui a été colonisé ? Certainement pas les Caldoches d’aujourd’hui. Certains d’entre eux vivent certes depuis longtemps sur l’Île, mais ils n’ont jamais eu l’humiliant statut “d’indigènes”. Alors, où est l’évidence selon laquelle ils devaient être conviés à donner leur avis sur le référendum d’autodétermination ? On a beaucoup souligné, comme une grande avancée, le fait que les “oiseaux de passages”, vivant depuis moins de 20 ans en Nouvelle-Calédonie, ne seraient pas consultés. Quelle avancée, quand on sait que la Nouvelle-Calédonie a été vue par la France, dès l’origine, comme une colonie de peuplement, donc un lieu dans lequel la population d’origine a vocation à devenir minoritaire ! 20 ans de plus ou de moins sur une histoire coloniale de 180 ans, est-ce là l’avancée extraordinaire ?
N’aurait-il pas été juste que seuls les descendants des populations originellement envahies soient appelés à donner leur avis, ou au moins que leur voix compte double ? Décoloniser est une exigence morale et politique, et ne devrait pas être une option sur laquelle on consulte… les colons ou leurs descendants directs. Ce qui n’exclut aucunement que, pour tous les sujets autres que ceux des rapports institutionnels avec la France, c’est à dire pour l’exercice de la démocratie au quotidien, tous les habitants de l’île soient égaux. Ni que les relations avec la France demeurent importantes. On peut être amis sans que l’un soit le maître et l’autre l’esclave…
La souveraineté des peuples ne devrait pas être discutable
Car c’est bien d’une relation de domination contre une relation d’égalité dont il est question. Indépendance ne veut plus dire grand chose dans un monde aux interdépendances multiples. Mais souveraineté a un vrai sens : celui d’être maître de son futur. Aujourd’hui, les habitants de Nouvelle-Calédonie ont choisi de laisser cette maîtrise ultime à la France, quel que soit le degré d’autonomie qui leur est “accordé”. A mes yeux, ils ont laissé passer une occasion, pour eux, mais aussi pour la France et pour l’Europe. On peut parier en effet que le référendum du 4 novembre, après celui de
l’Ecosse en 2014, enverra des ondes jusqu’en Corse ou en Catalogne.
Certains ne manqueront sûrement pas d’y voir la justification de leur volonté de s’arcbouter sur des Etats pourtant devenus obsolètes.
Certes, la Corse n’est pas la Nouvelle-Calédonie. Les Corses n’ont jamais eu à subir un statut d’indigénat et ont participé depuis deux siècles très fortement à l’histoire de la France. La Corse n’est pas une colonie de peuplement, même si l’invasion que subit l’île à coup de flambée immobilière volontairement non maîtrisée a de quoi inquiéter.
Mais ne nous y trompons pas. Les mêmes mécanismes sont en œuvre, comme ils sont aussi en œuvre en Catalogne. On pourrait les résumer en l’incapacité d’anciens Etats coloniaux — France, Espagne — à accepter de déroger à leur statut de puissance dominante. Mais quel statut ? Dominer des bien plus faibles que soi est-il devenu le summum de la grandeur ?
Emmanuel Macron disait sa fierté que la Nouvelle-Calédonie ait choisi la France. Quelle erreur vis-à-vis de l’histoire ! Car, loin de se grandir, l’Etat français, par son chantage économique, par son mépris de la démocratie, se rabaisse. Il aurait pu être un modèle en facilitant l’accès à la pleine souveraineté d’une de ses anciennes colonies, ou en inventant pour la Corse un statut de souveraineté partagée. Il ne sera aux yeux des générations futures qu’un exemple de plus de ces anciennes puissances qui ne savent pas s’adapter.
En choisissant de freiner ou d’empêcher la souveraineté des Nations qui le constituent, l’Etat français se présente comme un dinosaure. Espérons que la disparition inéluctable de cette espèce dépassée se fera sans entraîner dans sa perte les peuples qui le composent.