Faut-il être gros pour être heureux ?

Frog_and_oxQuestion qui peut sembler déplacée, si l’on songe aux multiples difficultés que rencontrent les personnes dites “en surpoids”. Question qui peut aussi étonner si l’on pense à la mise en valeur, parfois même exagéré, des “start-ups” innovantes, ou au nouvel horizon des nano-technologies, ces technologies de l’infiniment petit.

Mais question lancinante quand on parle d’organisations, et plus spécifiquement d’organisation en Etats ! Car tout vise à nous faire croire que la course à la taille, dans ce domaine, est la seule voie pour assurer la survie, condition bien évidemment nécessaire au bonheur. 

Et si cela était un mythe, et même un mythe dangereux ?

Crise de l’Etat-nation ?

On parle aujourd’hui très souvent de “crise de l’Etat-nation”. Mais est-ce une crise de l’Etat-nation, ou une crise de la course à la taille ? Regardons de plus près la crise — peu contestable, elle — du système représentatif dans les différents pays d’Europe. Elle touche l’Italie, l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne, pour ne citer que les plus grands, qui n’ont pourtant que peu de rapports dans la façon dont s’est constitué l’Etat moderne et dans son rapport à la Nation. 

L’Allemagne, pourtant fédérale, est en crise, comme l’ont montré les dernières élections. L’Italie, dont la constitution en “Etat-nation” est pourtant très récente, est en crise.

La Grande-Bretagne connaît elle aussi, révélée par le référendum du Brexit, une période de doute croissant vis-à-vis de ses partis traditionnels, alors même qu’elle constitue le seul exemple contemporain d’un Etat officiellement multinational : dans le Tournoi de rugby des Six Nations, trois de ces six nations sont britanniques. 

Quant à la France, on peut se poser légitimement la question de savoir si LA “nation française” a jamais existé ailleurs que dans les discours des élites politiques “républicaines”, toutes plus ou moins héritières, Terreur oblige, des Jacobins. La France est constituée elle aussi, comme la Grande Bretagne, de plusieurs Nations — Basques, Bretons, Corses, Kanaks, etc. — qu’un modèle de centralisation politique et culturel excessif a empêché de trouver leur place.

Grossir pour être en sécuritéfrog-220197_960_720

Et pourtant, malgré des différences d’histoires et de cultures, l’organisation des quatre Etats cités ci-dessus est peu ou prou la même. Pourquoi ? Parce qu’il fût une époque où, pour survivre, il fallait atteindre une taille critique. 

L’Allemagne, avant d’être fédérale, s’était unifiée sous la férule prussienne en réponse au traumatisme des invasions… napoléoniennes. La Grande-Bretagne, elle, s’était unifiée bien avant pour mettre fin aux conflits qui ensanglantaient régulièrement l’île, et faire face ensemble au défi d’être une île dans un monde qui élargissait ses frontières à la planète entière.

Le cas de l’Italie est un peu plus complexe, son unification sous la maison de Savoie devant beaucoup à des acteurs extérieurs, dont la France, véritable créatrice du mythe de l’Etat-nation à la fin du XVIIIe siècle. Mythe né justement au moment où “la Patrie en danger” était le cri de ralliement de tous ceux qui voulaient transformer un Royaume entré en léthargie.

Comme dans le Léviathan de Hobbes, les “citoyens”1 ont renoncé à une part de leur liberté et de leur diversité, en échange d’une sécurité renforcée. Et ça a, grosso-modo, fonctionné jusqu’aux deux Guerres Mondiales…

Toujours plus de la même chose

Et là, patatras ! Les Etats-nations ont été responsables de centaines de millions de morts. Croyez-vous que l’on alla alors défaire ces monstres pour retrouver des structures plus proches des citoyens ? Que nenni ! Puisque l’Etat-nation ne fonctionne pas très bien en matière de sécurité collective, inventons “l’Etat supranational” ! L’organisation du monde en quelques grandes Régions — grosso-modo, les continents ou sous-continents — serait la réponse aux défis d’un vivre ensemble à 3, puis 5, 7 ou 9 milliards sur notre planète aux limites finies. Et si, en plus, ces grands blocs se chargent d’assurer une gouvernance mondiale, tout ira bien ! Tel était d’ailleurs, la vision de Churchill à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a donné naissance au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Comme le souligne Paul Watzlawick dans son délicieux “Comment réussir à échouer”, toujours plus de la même chose, en plus grand, en plus gros, mais sans changement de paradigme, conduit souvent à la catastrophe. Or, c’est bien la voie que prend notre Union Européenne, quand on écoute les appels à la centralisation des pouvoirs d’un Jean-Jean-Claude Juncker et qu’on regarde les manœuvres insensées déployées pour mettre à mal la décision démocratique du peuple britannique de quitter ladite Union.

Une crise de l’adaptation à la complexité 

Petite parenthèse sur le Brexit. On pourrait croire qu’il s’agit d’un repli frileux des Britanniques, et plus spécialement des Anglais2, si on n’observait pas de plus près les arguments des deux camps en présence. Côté Remain, avant le référendum comme depuis lors, l’argument majeur est… la peur. Point d’appel à dépasser les clivages pour créer un magnifique espace de vie commune en Europe, mais le spectre de la récession, de l’appauvrissement, du “déclassement“ de la Grande-Bretagne ! On peut se gausser à l’infini des travers d’un Boris Johnson, mais son discours est certainement plus ouvert, plus généreux, plus motivant que celui de ses adversaires.

En réalité, le Brexit marque l’inadaptation à la complexité du monde de notre construction européenne, toujours plus grande — la course à l’intégration qui a fait passé l’Union de 15 à 28 en moins de 20 ans, alors qu’elle avait mis 30 ans pour passer de 6 à 12 —, toujours plus éloignée des citoyens — les décideurs de l’Union ne sont même pas élus, à l’instar de Monsieur Juncker —, toujours plus incapable de gérer les différences — l’attitude pour le moins pusillanime des instances européennes face à l’exigence des Catalans d’un référendum d’autodétermination le rappelle —, toujours plus “uniformisée” — les directives européennes portent sur tous les aspects de notre vie quotidienne, et sont des “actes normatifs”, selon la terminologie officielle.

Car il est un fait bien établi dans le monde de la biologie comme dans celui des organisations : la taille et l’uniformisation sont souvent des gages d’efficience, mais sont en revanche des handicaps sévères en matière de résilience, d’adaptation aux changements. Ce n’est peut-être pas pour rien que les dinosaures ont disparus alors que les lémuriens ont prospéré…

Redéfinir le cadre…

Disons tout d’abord que la vraie démocratie ne peut être que “de proximité”. Le reste, ce sont des statistiques ou des plébiscites. Qui peut penser sérieusement que l’on puisse, en toute connaissance de cause, se prononcer sur des sujets comme les choix de développement du littoral Corse quand on n’y vient au mieux que passer quelques semaines l’été, au pire qu’on n’y voit qu’une petite tâche sur la carte du monde ? Les technocrates essaient de nous faire croire qu’il y auraient des règles universelles. Je n’en ai jamais rencontré ailleurs qu’en mathématiques ou en physique, et encore, Einstein a démontré qu’elles sont aussi relatives. 

Démocratie de proximité, cela veut dire subsidiarité : chaque collectif gère ses affaires comme il l’entend, tant que cela n’empêche pas le collectif voisin de faire de même.

Reste à s’entendre sur la nature du collectif. L’histoire “d’avant le mythe des Etats-nations“ ne pourrait-elle pas nous donner des pistes sur les collectifs à considérer ? La Grande-Bretagne a ses Nations, l’Allemagne fédérale ses Länders, issus les uns comme les autres de l’Histoire.

1316px-Carte_de_la_France_divisée_en_provinces_et_en_généralités_(Jean-Baptiste_Bourguignon_d'Anville,_1774)_1En France, il y avait, avant que la République ne découpe son territoire en départements tous semblables, des Provinces, inégales en taille et en population, mais forte en cohésion culturelle et historique. N’est-ce pas là qu’il faut (re)trouver le cadre naturel de l’exercice de la démocratie ? La Corse avait, quelques décennies avant la Révolution française— et elle le refit en 1793 devant les abus de la Terreur jacobine — choisi de s’organiser elle-même, et ça marchait plutôt bien, même si ce fût trop court pour juger de la pérennité du modèle. La Constitution de Pasquale Paoli a en tout cas servi d’inspiration à celle des Etats-Unis d’Amérique, ce qui peut constituer un gage de robustesse…

Utiliser la modernité pour réinventer la démocratie

Y a-t-il une masse critique nécessaire, une taille minimale en-deçà de laquelle il ne serait pas raisonnable d’aspirer à l’indépendance ? On peut répondre à la fois oui et non à cette question. Oui, certaines questions doivent être traitées par une approche globale. C’est le cas, majoritairement, des questions environnementales. C’est aussi le cas de nombreuses questions économiques. Mais dans ces cas, l’échelle minimale est… la planète ! Car Fukushima a des répercutions dans le monde entier… Et non, il n’y a aucune impossibilité pour, par exemple, une île de 300 000 habitants à être indépendante. Le monde abonde d’Etats bien plus petits que ça, et qui ne sont pas des symboles de sous-développement3.

ball-419199_1280Mais bien évidemment, indépendant ne peut plus aujourd’hui signifier autre chose, selon la formule de Jean-Marie Tjibaou, que la “capacité à choisir ses interdépendances”. Et à les organiser comme on le souhaite, technologie et théorie des organisations aidant. On a aujourd’hui les moyens techniques et méthodologiques de créer de vastes projets complexes, à distance, sans qu’aucune des parties ne renonce à son indépendance. Les entreprises ou les universités le font à l’envi, dans le commerce, dans la technologie, dans la science.

Un ancien dirigent de Thomson CSF avait coutume de contrer le slogan “Small is beautiful4” en le remplaçant par “Small in big is beautiful5”. Sauf que les “gros“ qui incluent des “petits“ ont souvent une fâcheuse tendance à les digérer ! Je préfère de loin pour ma part, “Small together is beautiful

”. Car petit, on peut innover, aller très loin, à condition de savoir échanger avec les autres au même niveau et construire ensemble.

La vraie réponse aux défis de notre monde, ce n’est pas d’être gros, c’est d’être intelligent !

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1le concept de Cité, et donc de citoyens, est bien plus ancien que la Révolution française et son Etat centralisé
2les Ecossais ont voté plutôt Remain, et les Gallois étaient assez partagés
3Monaco, Etat souverain, compte moins de 40000 habitants. Le Luxembourg, dont l’inénarrable Jean-Claude Juncker fut Premier Ministre, en compte environ 580 000. Les Etats Fédérés de Micronésie, membres de l’ONU depuis 1991, 106 000.
4Petit, c’est beau
5 Petit dans un “gros”, c’est beau
6 Petits ensemble, c’est beau

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