Les révélations du Covid :  hygiénisme et obsession sécuritaire

IMG_2200Dans son roman Les cavernes d’acier, paru en 1954, le célèbre auteur de science-fiction Isaac Asimov met en scène une humanité post-conquête spatiale, divisée en deux catégories : les Terriens, qui vivent sur Terre, enfermés dans des cavernes d’acier, protégés d’une nature devenue ou supposée hostile, et les Spaciens, héritiers des premiers conquérants de l’espace, qui vivent sur les autres planètes, à l’air libre, mais un air purifié de tout germe un tant soit peu pathogène. Ceux d’entre eux qui vivent, temporairement, dans leur « colonie terrestre », y sont protégés de l’extérieur d’une façon absolue et quand ils doivent malgré tout, rencontrer un Terrien, il prennent garde à le désinfecter, et à porter eux-mêmes gants et protections nasales. 

Comment ne pas voir dans ces Spaciens une anticipation des humains en période de Covid, gantés, masqués, fuyant tout contact au profit des gestes barrières édictés en norme comportementale ? De Jules Vernes à Asimov, la SF n’est souvent qu’une sociologie du futur…

Hygiénisme, scientisme, hubris

En réalité, l’hygiénisme, ainsi scénarisé, dans une version exacerbée, par Isaac Asimov, puis tristement mis en œuvre en France et dans une partie du monde en 2020, est né au XIXe siècle, dans une bonne intention : en finir avec les conditions de vie, de travail, de logement pathogènes,  voire mortifères de l’époque. Mais en devenant une idéologie, l’hygiénisme est devenu à l’hygiène ce que le moralisme est à la morale. L’un comme l’autre veulent imposer une seule grille de lecture, niant la complexité nécessaire du monde. L’un comme l’autre prétendent pouvoir s’arroger le droit de faire le bonheur des gens malgré eux, en les contraignant si besoin. Hygiène et morale sont bien évidemment nécessaires pour vivre harmonieusement en société. Mais ni l’une, ni l’autre ne peuvent à elles seules représenter la règle ultime de la vie d’une société. Or, la crise du Covid a mis entre parenthèses, pour un temps incroyablement long — en France, presque deux ans et demi, plus pour ce qui est du corps médical — les règles de base de nos sociétés démocratiques — liberté de circuler, maîtrise personnelle de sa santé — au nom d’une idéologie faisant du SARS-CoV-2 le messager de l’apocalypse. Et la parenthèse n’est toujours pas entièrement refermée. Pour un virus à la létalité finalement relativement faible, ce serait un exploit si les tendances n’avaient pas été depuis des lustres présentes dans notre société. La santé — ou la survie  est devenue un culte, source de profits pour nombre d’entreprises petites et grandes, enseigné dès le plus jeune âge. Sans craindre quelques contradictions flagrantes, les publicités pour les produits d’hygiène ou les activités dites “de santé” (fitness) voisinent avec les pubs pour les boissons sucrées et autres produits de junk food. Alors même que l’OMS a élargi la définition du mot “santé” pour y inclure une forme de bien-être social et psychologique, nos sociétés ne retiennent que la santé du corps, moins subversive. Maladie et mort “naturelle” deviennent tabou. On ne les nomme plus. On “décède” des suites “d’une longue maladie”, on ne meurt plus du cancer. Certes, on a fait une exception à cette pudeur pour le Covid, allant même jusqu’à égrener chaque soir à la télévision le nombre de morts qui lui était attribué. Y compris d’ailleurs quand il n’était qu’un des facteurs — et parfois même un simple élément de contexte — du décès de ses “victimes”. Mais n’était-ce pas pour mieux justifier des mesures déraisonnables, absurdes, autoritaires, que déclinait un gouvernement qui avait été bien chahuté juste avant l’apparition de ce virus salvateur ? L’hygiénisme a ceci de pratique qu’il n’a pas besoin de rationalité. Mieux, il refuse de s’expliquer, de se justifier. Il FAUT suivre les règles, pour soi, et encore plus pour protéger les autres. Et tant pis si ces règles, dans leur absurdité, détruisent plus qu’elle ne protègent. Tant pis si ceux qui prétendent défendre ainsi la vie prônent en même temps l’euthanasie. On ne remet pas en cause un tel culte qui se donne les apparences de la Raison. 

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Car c’est au nom de la Raison, voire de la Science, que nous ont été imposées tant d’absurdités. Mais cette science-là doit plus à une forme pervertie de scientisme qu’à l’esprit scientifique. Le scientisme “vrai” prétend régler par l’approche scientifique toutes les questions qui se posent à l’humanité. Mais le neo-scientisme à l’œuvre aujourd’hui dans la société (post-)covidienne ne s’encombre même plus de démarche scientifique. La foi a remplacé les preuves, par exemple, pour ce qui est de l’efficacité des vaccins. Le nombre de contaminations de personnes vaccinées a pourtant interpelé beaucoup de vrais scientifiques, de même d’ailleurs que les effets secondaires de ces vaccins. Mais mettre en cause la vérité devenue officielle est une hérésie, nommée aujourd’hui complotisme. Les débats entre anti-vaxx et pro-vaxx intégraux ressemblent d’avantage à des guerres de religion qu’à des confrontations scientifiques factuelles. Enfin, manifestation ultime du mariage entre hygiénisme débridé et scientisme sans limite, le transhumanisme est devenu la nouvelle frontière de quelques “penseurs” californiens très proches des cercles des pouvoirs. Génie génétique et nanotechnologies se mêlent pour faire naître l’Homme augmenté, qui a remplacé dans quelques cerveaux malades l’Homme Nouveau que les Révolutions française, puis russe, ont échoué à créer. 

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Comment ne pas voir dans cette prétention à “terrasser”, par des mesures technico-politiques, ce nouveau virus, ou à créer une humanité invulnérable aux maladies, voire immortelle, une certaine démesure ? L’OMS d’ailleurs poursuit dans cette ligne avec la maladie X, aujourd’hui inexistante, mais demain forcément mortelle…. Que des intérêts matériels bien terre-à-terre se cachent derrière ces attitudes est incontestable : la corruption dans l’industrie pharmaceutique est dénoncée depuis des années, et le lobbying effréné des majors de la Silicon Valley est, lui aussi, de notoriété publique. Mais la poursuite, invétérée, de la satisfaction de ces intérêts matériels, au mépris de la raison — sans compter de la morale —, ne peut qu’être le signe d’un dérangement, d’une démesure, d’une perte de repères.

Les Grecs anciens appelaient hubris cette démesure, engendrée par l’orgueil et l’arrogance, et qualifiaient aussi ainsi les actes transgressifs violents qui l’accompagnent, des voies de fait au viol en passant par le vol de biens publics. L’hubris était pour eux juridiquement un crime, et plus globalement la faute fondamentale dans leur civilisation. Aujourd’hui, les élites au pouvoir, gouvernants ou « dieux du stade » de l’économie et du spectacle, font la même faute, impunité en plus ! Et cette prétention à égaler les dieux n’est pas réservée aux dirigeants. On a entendu au cours de la crise du Covid des médecins de plateau nous expliquer tout, puis son contraire, comme si les faits devaient se plier à leur volonté.  Finalement, celles et ceux qui continuent à faire confiance à ces pseudos scientifiques ou à ces gouvernants gonflés d’orgueil ne sont-ils pas coupables d’hubris par procuration ?

De l’obsession d’hygiène à l’obsession sécuritaire 

Mais revenons-en à la peur, qui a caractérisé toute la période Covid et rendu possibles tous ses excès. Elle est un maître exigeant. Le Covid ne l’a pas fait apparaître ex-nihilo. Il n’a fait que révéler, et amplifier une obsession exploitée par les gouvernants, qui ont volontairement entretenu cette peur qui rend celui qui [la] contrôle maître des âmes, pour reprendre Machiavel. On n’est pas si loin de l’hubris…

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Car cet hygiénisme hubristique révèle aussi, au-delà du champ de la santé, une obsession pour la sécurité. Là non plus, le Covid n’a rien créé. Cette obsession sécuritaire est depuis de longues années l’alliée précieuse des gouvernants et de ceux qui prétendent le devenir. Elle s’invite en France à chaque élection, au moins depuis les Législatives de 1986. Amplifiée par les attentats terroristes et leur mise en scène, amplifiée par les images de catastrophes diffusées à longueur de journal télévisé, elle a quitté le domaine de la raison. Vivre est dangereux, cessons donc de vivre ! Du moins, laissons l’Etat nous protéger de tous les virus possibles, qu’ils fussent biologiques, psychologiques ou sociaux. Et en échange offrons-lui ce qui reste de notre liberté. Acceptons donc une surveillance généralisée, à la banque, dans la rue, aux carrefours, sur Internet… De l’hygiénisme « physique », on passe à l’hygiénisme social. Car ne nous y trompons pas. Les mesures de « distanciation sociale” et autres gestes barrières prônés pendant toute l’épidémie de Covid véhiculaient un message : le danger, c’est l’autre. Qui a oublié ces publicités délirantes sur « gardez pépé et mémé à distance pour les protéger pendant le réveillon » ? Qui a oublié l’isolement carcéral imposé aux résidents en EHPAD ?

En Chine, le pass sanitaire est devenu outil de crédit social. Nous n’en sommes pas encore tout-à-fait là. Mais que des voix naguère respectables — médecins, parlementaires, journalistes — aient pu s’élever pour vanter ce modèle chinois ou pour réclamer une discrimination sociale des personnes non vaccinées Covid, est en soi une brèche très significative dans ce qui faisait il y a relativement peu le socle consensuel de notre société : le respect des libertés individuelles des honnêtes gens ! Que la discipline asiatique du port du masque ait pu faire rêver une société qui, quelques mois plus tôt, décrétait illégal le fait de se masquer le visage dans l’espace public aurait de quoi surprendre si l’on oubliait le message commun de ces deux injonctions en apparence contradictoires : l’autre est (avant tout) un danger potentiel.

Quoi d’étonnant alors à ce que l’après-Covid, période pendant laquelle l’Etat a cultivé cette peur de l’autre, ait vu se renforcer comme jamais les tendances politiques d’exclusion ? Le bouc émissaire n’est plus un non-vaxx, mais un non-blanc, ou un musulman, ou un juif, ou un patron, ou un… Selon le côté où l’on est, le bouc émissaire change, mais l’obsession reste la même. Pas nouveau, certes, mais simplement plus fort. En Corse aussi, un mouvement comme Palatinu a fleuri juste après cette vague de peur. Le bouc émissaire y est le non-Corse, surtout s’il est aussi non-Francais, ou Français de banlieue. Sous couvert de défense de notre identité, c’est surtout une obsession de la sécurité du « pareil » qui se dessine. Car le stade ultime de la satisfaction de cette obsession sécuritaire, c’est bien de ne trouver que des semblables, dans le même uniforme, dans le même système de référence, et surtout sans questionnement qui risquerait de déstabiliser. Orwell en parle mieux que quiconque. Quand on ouvre la boîte de Pandore, il faut s’attendre à ce qu’il en sorte des monstres. 

On ne fait pas un pays libre en le fondant sur la peur. J’ai entendu souvent « la peur doit changer de camp ». Non, elle doit quitter le champ de la politique. Car, comme le rappelait Percy Kemp, la peur est insatiable, elle se nourrit de tout ce qu’elle trouve. Hier le virus, aujourd’hui l’immigrant, et demain ? Car, selon les mots de Kipling, « de tous les menteurs du monde, parfois les pires sont nos propres peurs ».

La liberté a un prix. Ce n’est ni la naïveté, ni l’angélisme. Chacun, chaque peuple a le droit, voire le devoir, de se défendre contre les agressions, qu’elle viennent d’un virus, d’un homme ou d’un autre peuple. Mais le prix de la liberté, c’est l’acceptation du risque. Et sa condition, c’est de regarder vers l’avant, vers ce qu’on veut construire, plutôt que de se focaliser sur ce qui nous effraie.

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