La Corse, symbole de notre XXIe siècle

J’ai quelque pressentiment qu’un jour, cette petite île étonnera l’Europe.

Jean-Jacques Rousseau – Du Contrat social

Décembre 2015 : les nationalistes remportent l’élection territoriale en Corse, avec un peu plus de 35% des voix.
Printemps 2017 : les nationalistes remportent trois des quatre sièges de députés de Corse.
Décembre 2017 : les nationalistes remporte la majorité absolue aux élections territoriales de Corse, avec plus de 56% des suffrages, et une augmentation en valeur absolue du nombre de suffrages de plus d’un quart.
Mais que ce passe-t-il donc en Corse, où pourtant les chausse-trappes à l’égard des nationalistes n’ont pas manqué ? Comment se peut-il, alors même que la “règle” de nos élections est que les sortants, à défaut d’être “sortis”, reçoivent généralement un avertissement, non seulement les nationalistes sont reconduits à la direction, mais avec un score qu’aucune liste n’a jamais réuni, dans toute l’histoire de la Région, puis de la Collectivité Territoriale Corse ?

Le fruit d’une constance méritoire
Les nationalistes corses n’ont jamais changé de ligne politique depuis le renouveau du nationalisme Corse dans les années 60-70 : certains veulent l’indépendance, d’autres veulent rester dans la République française, mais tous veulent une large autonomie, et tous veulent que ce soit le peuple corse qui décide. Jamais non plus les nationalises corses n’ont cherché d’alliance autrement qu’en leur sein. Cette constance paye. Dans un monde où l’on ne cesse de constater la disparition des repères habituels, la constance des nationalistes rappelle que certains idéaux valent mieux que d’être vendu à l’encan, au gré des rapports de forces ponctuels et des programmes communs qui n’en sont pas. L’alliance dans la clarté entre Femu a Corsica et Corsica Libera a ceci de remarquable qu’elle est solide et n’a exigé d’aucun des partenaires qu’il renie quelque parcelle de ses convictions. Cette transparence alliée à cette constance répond à une aspiration profonde de nos démocraties : les électeurs veulent savoir où leurs élus veulent en venir. Avec Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, on le sait. Qui peut prétendre, dans les partis de l’hexagone, pouvoir en dire autant ?

La reconquête de la démocratie
La victoire des nationalistes en Corse remet aussi à sa place une idée bien trop répandue et extrêmement dangereuse : nous aurions atteint les limites de la démocratie et devrions céder la place à la post-démocratie. Cette idée, que l’on entend discutée dans des cercles de réflexion aussi variés que ceux qui alimentent les milieux dirigeants européens ou les grands acteurs de l’économie mondiale, se veut la seule réponse raisonnable à la montée des populismes et la complexité accrue d’un monde interdépendant. Mais elle est en réalité vieille comme le monde. Il y a quelques décennies, on l’appelait simplement technocratie. En d’autres siècles , on l’a appelée aristocratie. Elle peut se résumer simplement en : « le peuple est insuffisamment sage pour se gouverner lui-même ». Et si ce n’était pas le peuple qui était en cause, mais l’hubris de dirigeants qui veulent décider centralement sur tout ? Les Corses répondent clairement : le pouvoir doit être exercé localement, par des gens qui marquent clairement leur attachement à leur territoire. Et les Corses ne sont pas seuls dans ce mouvement. Les Ecossais l’ont fait et refait, en donnant la majorité au SNP, même s’ils ont rejeté par référendum l’indépendance de l’Ecosse. Les Catalans l’ont fait, et le referont probablement le 21 décembre. Les Anglais l’ont fait en votant majoritairement pour le Brexit. Les Kurdes ont exprimé la même aspiration il y a à peine quelques semaines. On est loin de la caricature du populisme qu’un establishment effrayé voudrait nous présenter comme la seule alternative à leur pouvoir.

Un modèle pour notre siècle
Au XVIIIe siècle, la Corse a connu une éphémère indépendance, avant de tomber dans l’escarcelle des rois de France, puis de la République. Mais cette période, pour trop brève qu’elle ait été, a rayonné bien au-delà de l’île, et même de l’Europe. Le célèbre écrivain écossais James Boswel écrirait en 1767 : « Il est absolument étonnant qu’une île si digne de considération, et où de si nobles choses sont faites, soit si mal connue. » La Constitution Corse de Pasquale Paoli de 1755 fût la source principale d’inspiration de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique de 1787. Les Américains s’en souviennent : il y a neuf Paoli City aux Etats-Unis, dont la première, en Pennsylvanie, fut créée en 1777.
La Corse aujourd’hui semble prête à reprendre le flambeau, et à donner raison au “pressentiment” de Jean-Jacques Rousseau. Sa responsabilité va bien au-delà de l’île elle-même. Comme au XVIIIe siècle, notre monde a besoin de repenser la gouvernance. Il a besoin de réinventer une démocratie plus vivante, plus proche. De la Catalogne à l’Ecosse, du Kurdistan à la Nouvelle-Calédonie, les mêmes questions se posent. Comment concilier démocratie et modernité ? Comment être à la fois pleinement ancré dans son histoire et sa culture tout en étant pleinement ouvert sur le monde ?
L’enjeu pour les nationalistes corses, pour ces prochaines années, sera bien sûr de montrer aux Corses que la prospérité et la solidarité sont réellement au rendez-vous, que la volonté partagée permet de soulever les obstacles, que l’autonomie est non seulement un droit, mais aussi une réponse pertinente aux problèmes actuels de l’île. Leur belle victoire ouvre une ère de possibles.

Plus encore, les nationalistes corses, en gagnant si brillamment cette élection, ont aussi accepté une responsabilité aux yeux de l’histoire, qui va bien au-delà de leur territoire : fermer une parenthèse de deux siècles et demi, et renouer avec une Corse qui inspire ce qui se fait de mieux dans le monde en matière de démocratie et de libertés.

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