Quand meurent les civilisations… (2/2)

Blog-Headline-Image-1-644x362.jpgNous avons souligné dans la première partie de cette réflexion quelques caractéristiques de notre société qui semblent montrer une civilisation en train de mourir. Certains dans ce contexte, en France et en Corse, se proclament “identitaires” et croient que le combat anti-islamiste et anti-wokiste pourrait inverser la tendance. Ils se trompent. Mais plutôt qu’un réquisitoire de plus contre la France, nous préférons consacrer la dernière partie de cet article à une réflexion sur ce qui peut faciliter la renaissance d’une civilisation qui a implosé. 

Les clés de la résilience

Entendons-nous d’abord sur le terme de renaissance. Une civilisation morte ne revient jamais. Parce qu’une civilisation est liée à son écosystème, et que celui-ci poursuit ses évolutions avec ou sans elle. Parce qu’une civilisation est faite de valeurs et de croyances, mais aussi d’un certain état de la science et des techniques, et que celles-ci poursuivent aussi leur évolution, avec ou sans elle. 

La renaissance dont nous parlons, c’est en réalité une nouvelle civilisation, mais une civilisation qui intègre tout ce qu’elle peut trouver de positif dans celle qui se meurt. Comme notre civilisation judéo-chrétienne a su intégrer des pans entiers de la civilisation gréco-latine, de l’art au droit, de la philosophie à la pensée politique…

Il y a bien sûr une condition sine qua non pour qu’une telle renaissance soit possible : l’implosion de la civilisation mourante ne doit pas être accompagnée d’un génocide. C’est le génocide des Incas, Aztèques et autres Amérindiens qui a condamné leurs civilisations à l’oubli. Carthage aussi avait fait l’objet d’un quasi génocide avec la destruction de la cité et la condamnation de ceux qui restaient de ses habitants à la dispersion à l’intérieur des terres. 

Nul génocide en revanche en Chine après la disparition du dernier empereur, ni bien entendu sur les ruines de l’Empire romain. Quant au peuple juif, lui aussi dispersé par les Romains, il se trouve que la clé de voûte de sa civilisation, la Bible, s’est trouvée être aussi la clé de voûte de la civilisation naissante qui a pris le relais de la civilisation romaine. Les bases de sa renaissance étaient donc posées. 

Si cette exigence est à ce point absolue, c’est parce que ce sont les hommes qui sont dépositaires d’une civilisation. Celle-ci peut bien se traduire par des monuments, des techniques, une architecture ou une urbanisation spécifiques, au final, quand elle se meurt par implosion ou explosion, c’est dans l’esprit de celles et ceux qui en sont issus qu’elle perdurera et conservera ainsi des chances de renaître. 

La résilience, c’est-à-dire la capacité à rebondir et à reconstruire après un effondrement, Italie_du_Nord_1402_frdevient alors essentielle. Ce que nous montre l’Histoire en la matière, c’est que cette résilience se trouve dans… la petitesse ! Quelle que grande qu’ait été la civilisation romaine, quel qu’immense qu’ait été son empire, ce sont les petites cités-état italiennes et les féodalités un peu partout en Europe qui ont permis de préserver l’essentiel et de recréer une brillante civilisation à partir de ce que nous avons nommé la Renaissance. En Chine, ce sont les Seigneurs de la guerre qui ont succédé au dernier empire, et, même s’ils ont dû être vaincus pour permettre une renaissance chinoise, sous forme de République, ils ont joué un rôle vital pour empêcher que la Chine ne devienne une simple colonie. 

Alors, aujourd’hui, chez nous ? La résilience passe par une subsidiarité généralisée. En d’autres termes, il est urgent de déconcentrer les pouvoirs, de laisser vivre de façon autonome des entités culturelles et historiques homogènes. Bref, de laisser les nations aujourd’hui sans État, qu’elles soient englobées dans l’Etat français ou dans d’autres États d’Europe, vivre leur vie. Si les hypothèses sur les causes de la fin de la civilisation romaine sont variées et, parfois, divergentes, une d’elles en tous cas fait consensus : le gigantisme de l’Empire a fini par être son pire ennemi. 

Pourquoi en serait-il autrement dans l’Empire Euro-américain qui est le dernier avatar de notre civilisation ? Peut-on empêcher la mort de notre civilisation en rénovant cet empire ? Non. On peut parfois prolonger un peu une vie, mais pas la rendre éternelle. Et toujours plus grand conduit à l’effondrement. En revanche, on peut se préparer intelligemment à limiter les dégâts. Voire à préfigurer le futur ! Car la subsidiarité généralisée, bien plus qu’un simple facteur de résilience, pourrait constituer la base d’une civilisation moderne à renaître. 

Une autre civilisation émerge 

1*GWau7TKED3g8rMi56bZO7wNotre ami Marc Halevy parle de la courbe rouge, descendante, tout en continuant à résister de multiples façons, qui contient les caractéristiques d’une civilisation finissante, et de la courbe verte, ascendante et d’abord timide, qui contient celles d’une civilisation émergente. Ces deux courbes coexistent, se croisent à un moment, puis la verte l’emporte, non sans combat. Car la civilisation nouvelle est présente, en germe, bien avant de devenir la norme. Nous avons déjà évoqué la christianisation progressive de l’Empire romain, prémisses du triomphe de “notre” civilisation judéo-chrétienne. La réciproque est bien sûr aussi vraie, et des signes de la vieille civilisation perdurent dans la nouvelle. Le Saint-Empire Romain germanique a duré longtemps, et le siège de la Papauté est toujours Rome. 

Quels sont les signes perceptibles aujourd’hui qui esquissent ce que pourrait être une nouvelle civilisation pour les siècles qui viennent ? En fait, nous pouvons les choisir, car l’avenir n’est pas écrit, et si la mort de la courbe rouge est quasi-certaine, sa succession est ouverte et résultera d’un combat, dont on perçoit aujourd’hui les clameurs. 

Nous avons maintes fois évoqué le choix crucial entre dictature mondialisée et subsidiarité généralisée. Soulignons encore la cohérence du second terme de cette alternative avec d’autres signaux largement perceptibles aujourd’hui. 

Premier élément manifeste : une exigence d’égalité. Qu’il s’agisse de l’égalité entre femmes et hommes ou de la lutte contre toutes les formes de discrimination — sexuelles, religieuses, raciales —,  notre société aujourd’hui indique clairement que le futur ne doit pas reproduire les inégalités du passé. Ne faisons pas d’angélisme. Marx rêvait d’une société sans classes, et celle-ci est restée un rêve. Mais les inégalités de caste, de genre, de race qui ont marqué le triomphe de la civilisation judéo-chrétienne dans ses siècles d’expansion ne sont clairement plus de mise, et on imagine mal un projet d’avenir qui ne prendrait pas en compte cette exigence.

Deuxième élément incontestable, au-delà des polémiques sur le comment : une nécessité absolue de mieux prendre en compte les exigences environnementales. Que l’on adopte une vision catastrophiste des changements climatiques ou non, que l’on souscrive à leur origine anthropique ou non, tout le monde s’accorde pour dire qu’une société qui gaspille sans compter les ressources naturelles et qui détruit peu à peu son environnement n’est pas viable à long terme. Or aucune civilisation ne se veut d’emblée éphémère. La civilisation qui émergera devra donc, d’une façon ou d’une autre, prendre en compte ce facteur. 

Cela ne signifie nullement qu’il n’y a qu’une solution. Les défenseurs d’une gouvernance mondiale prétendent d’ailleurs qu’elle est la seule à permettre de prendre en compte efficacement les exigences globales, qu’elles soient environnementales ou sociales. 

Mais disons-le, ils se trompent ou ils mentent ! Car toujours plus grand génère invariablement de plus grandes inégalités, et de plus grands désastres écologiques ! À ce titre, il nous faut noter le peu d’imagination de nos prédécesseurs, qui ont largement confondu — du moins pour ce qui est des élites —, la taille et la qualité civilisationnelle. On s’extasie devant l’immensité (pour l’époque) de l’empire romain. Et donc, on tente ensuite de reproduire ce gigantisme dans l’Empire euro-américain, après que les rêves d’Empire français, autrichien, prussien ou austro-hongrois se furent effondrés dans le sang. Olivier Rey a écrit sur cette propension un ouvrage (Une question de taille) que manifestement bien peu de décideurs politiques ont lu. Dans un autre style, Paul Watzlawick fustigeait aussi le toujours plus grand. 

À la décharge de nos penseurs politiques passés ou simplement dépassés, reconnaissons que les moyens de communication ne facilitaient pas, jusqu’à récemment, un fonctionnement en réseau, et que la pyramide pouvait sembler le moyen le plus efficace d’établir un peu d’ordre. Mais au XXIe siècle, ce fonctionnement systématiquement pyramidal semble aussi obsolète que les dinosaures ! On a aujourd’hui moyens techniques et méthodes pour articuler efficacement des fonctionnements coopératifs en réseau. Rien ne s’oppose donc plus à construire une civilisation articulée sur une subsidiarité généralisée. Et une telle civilisation, en permettant de maîtriser l’action au niveau local, sans empêcher de penser globalement, serait évidemment plus à même de limiter les agressions à l’environnement et de promouvoir une égalité réelle entre ses membres. Sans compter que ce sont les Empires et non les petites nations qui provoquent les guerres.

Dans cette recherche de renouveau, la Corse a un rôle à jouer. En quittant le Titanic France, en assumant son propre destin, elle peut contribuer à la préservation et à la renaissance de ce que notre civilisation judéo-chrétienne a produit de mieux. Ambitieux ? Oui. Irréaliste ? Non. Qui aurait pensé que la Renaissance viendrait de la petite Florence et non de Rome ?