Autonomia, la faute à qui ? Première partie : l’autonomie impossible


Corsican_FlagLa première question qui vient à l’esprit quand on voit le temps qu’il a fallu pour que les premières discussions sur l’autonomie de la Corse s’ouvrent, c’est : est-ce un miracle ou un piège ? 

Des Présidents bien dans leur rôle 

Si on parle aujourd’hui d’autonomie pour la Corse, rappelons-le, c’est parce qu’Yvan Colonna a été assassiné dans une prison française et que le peuple corse, jeunesse en tête, ne l’a pas accepté. Les mobilisations qui ont suivi ont conduit l’exécutif français à lâcher du lest : fin de l’exil abusif des deux derniers membres du commando Erignac, ouverture de “négociations” sur l’autonomie…

On était certes loin du compte par rapport à ce que demandait le collectif créé à ce moment dramatique, mais un premier pas avait été néanmoins franchi. Assorti de quelques lignes rouges, réaffirmées depuis — même s’il ne les appelle plus ainsi — par le Président de la République : pas de peuple corse, mais une “communauté historique et culturelle”, pas de statut de résident, pas de coofficialité de la langue corse. Ces lignes rouges, acceptées par le Président de l’exécutif corse, balisent l’exercice et permettent ainsi d’affirmer tranquillement, avec le Président Macron, que l’éventuel statut d’autonomie a vocation et permettra “d’ancrer la Corse dans la République”. Est-ce là ce que voulaient les militants qui ont donné leur vie ou leur liberté à la lutte de libération nationale ? Bien évidemment non. Le Président de la République française et le Président de l’exécutif corse sont-ils alors coupables de ce qui peut apparaître comme la trahison d’années de lutte ? Force est de répondre de nouveau non à cette question, car les deux sont bien dans leur rôle et leur ligne. 

Pour le Président de la République française, c’est évident. Son mandat n’est bien sûr pas d’amputer la France d’une partie de son territoire, fût-ce un territoire conquis injustement par les armes et la violence. On peut même dire qu’Emmanuel Macron a bien joué, en soufflant d’abord un froid glacial lors de sa visite de 2018, puis en réchauffant l’atmosphère en 2023 dans un discours devant l’Assemblée de Corse à la tonalité plus ouverte, plus respectueuse. Son job n’est-il pas en effet de conduire les Corses à résipiscence, et à accepter enfin d’être français ?

Quant au Président de l’exécutif corse, on pourrait croire que ceux qui lui font grief de brader ainsi l’avenir du peuple Corse n’ont pas été très attentifs à la ligne politique qu’il a toujours défendue. La Corse est et doit rester dans la France, c’est Edmond Simeoni qui l’affirmait et, en cela, son fils ne fait que suivre ses pas. La seule voie pour avancer est la discussion pour une meilleure prise en compte par l’Etat français des spécificités de la communauté corse, voilà encore qui vient d’Edmond. Même le terme de communauté historique (et de destin) ne trahit pas vraiment ce que les Simeoni ont toujours affirmé. 

Ce n’est donc pas à eux qu’il faut faire grief de la situation actuelle.

Et pourtant, l’autonomie impossible… 

Natio Corse MacronRevenons un peu en arrière. Dès le discours fondateur de l’UPC, à Furiani en août 1977, Edmond Simeoni affirmait son choix : l’autonomie dans la République française, et le refus de la lutte clandestine, a fortiori de toute lutte armée. L’homme d’Aleria y fustigeait les objectifs et les moyens choisis par le FLNC, qui, selon lui, faisait le jeu de l’Etat. 

Trente sept ans (et trois statuts de la Corse) plus tard, le Front mettait fin à la lutte armée et Corsica Libera acceptait de renoncer (provisoirement ?) à l’indépendance pour une période “transitoire” (non définie) d’autonomie. 

Huit ans plus tard, aujourd’hui donc, l’Etat français concède la perspective d’une autonomie très limitée, à condition qu’il y ait consensus des forces politiques corses, y compris donc ceux qui se sont toujours opposés aux revendications des nationalistes. Piètre remerciement pour l’effort consenti par le FLNC ! Piètre reconnaissance de la confiance accordée à trois reprises par la majorité des électeurs corses aux partis nationalistes !

Mais au-delà de l’amertume qui doit parfois saisir celles et ceux qui ont beaucoup donné à la lutte pour les droits du peuple Corse, il faut tenter d’analyser. 

Et d’abord, l’objectif d’une autonomie pleine et entière est-il réaliste ? L’histoire de la France depuis des siècles, comme les récents développements de l’actualité, conduisent à répondre clairement non. 

Le tropisme français est particulier. Contrairement à nombre d’autres états démocratiques, en France, l’Etat y précède la Nation. Depuis Hugues Capet, c’est l’Etat qui a créé la nation française, en assimilant territoires et populations conquis. Le Royaume-Uni ou l’Espagne reconnaissent leur caractère pluri-national. La France, non. Même si Bretagne, Corse, Savoie et d’autres ont vécu en tant que nations, voire en tant qu’Etats, bien avant de devenir françaises, une fois assimilées et intégrées dans l’Etat français, elles perdent ipso facto tout caractère national. Parce que, comme le rappelait Louis XIV, “l’Etat, c’est moi” et la nation, c’est l’Etat. La Révolution de 1789, en faisant disparaître de jure les provinces au bénéfice de départements géométriquement tracés, n’a fait qu’amplifier cette caractéristique. 

Alors, tenter de faire reconnaître qu’il pourrait y avoir des différences de statut entre différentes parties du territoire, c’est attaquer les fondamentaux même qui constituent le socle de la République, une et indivisible. De telles différences sont acceptables pour des colonies lointaines, et encore avec des limites strictes. Mais pour ce qui est de la “métropole”, elles ne sauraient être acceptées qu’à titre transitoire, comme une expérimentation, avant une généralisation à tout le territoire. La réaction immédiate de la Bretagne, de l’Aquitaine, de l’Alsace à l’annonce d’une possible autonomie pour la Corse rappelle cette constante. 

La question corse pourtant est spécifique. L’île n’a jamais accepté d’être française. Elle a été traitée pendant des décennies non comme une partie du territoire métropolitain, mais bien comme une colonie. Les violences répressives, les lois douanières, l’abandon du développement au profit d’une exploitation brutale des ressources, en portent témoignage. Certes, les choses ont changé au cours des décennies récentes. Mais il suffit de (re)lire le discours de Furiani d’Edmond Simeoni pour se rendre compte que les problèmes qu’il posait en août 1975 sont toujours présents aujourd’hui, pour certains (foncier, par exemple) avec encore plus d’acuité !

On peut modifier le discours politique en France, on ne peut pas modifier l’ADN d’un pays, intrinsèquement centralisateur. L’autonomie pleine et entière au sein de la République française a toujours été une illusion. AUCUNE ancienne colonie française ne s’est libérée en passant par une phase transitoire d’autonomie. 

On peut reconnaître aux autonomistes corses qui suivent Gilles Simeoni après avoir suivi Edmond le mérite de la constance. Leur position n’a pas varié depuis 1977. Malheureusement, cette constance est une constance dans l’illusion. Il serait parfaitement acceptable de s’inscrire dans une perspective “girondine” française, comme le fait d’ailleurs l’association Régions et Peuples Solidaires. Une perspective qui reconnaîtrait des spécificités géographiques et historiques à certaines communautés constituant le peuple français. Mais croire que la République française pourrait reconnaître en son sein des droits au peuple corse relève au mieux d’un aveuglement naïf, voire coupable. Les preuves ne manquent pas à travers l’histoire, et les derniers avatars de l’autodétermination en Nouvelle Calédonie rappellent que les fondamentaux sont inchangés. 

Ainsi donc, les discussions ouvertes par le gouvernement français ressemblent plus à un piège qu’à un miracle. Un piège donc le but serait de diviser et décrédibiliser durablement le courant nationaliste en Corse. Un piège qui pourrait en cacher un autre : tant qu’à réformer la Constitution française, pourquoi ne pas mêler nouveau statut pour la Corse et… possibilité pour un Président de se représenter autant de fois qu’il le souhaite ? On assurerait ainsi la pérennité du macronisme à défaut d’assurer celle du peuple corse…

A suivre