Résolument indépendantiste 

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et de plaisir Jean-Guy Talamoni il y a quelques jours sur Contrastu. Avec beaucoup d’intérêt car Jean-Guy Talamoni est une voix qui compte en Corse, même s’il s’est un peu mis en retrait de la politique quotidienne. Et avec beaucoup de plaisir parce que Jean-Guy est un des rares hommes politiques corses à parler de fond et pas seulement de calculs électoraux. Et aussi, je l’avoue, parce que le biais de confirmation me fait apprécier d’entendre une voix aussi forte que la sienne dire, avec ses mots, beaucoup de ce que nous pensons et écrivons sur Liassi. 

L’analyse qu’il fait de la majorité territoriale est sans concession. Elle n’en est pas moins juste. Femu a Corsica a oublié, semble-t-il, de “faire la Corse” pour se contenter de tenter de faire la Corse française. Et celle-ci, d’autres sont au moins aussi bien placés pour la faire. L’ancien Président de l’Assemblée de Corse souligne que, tout au long de la mandature précédente, il n’a cessé de plaider, en vain, pour la construction d’un véritable rapport de force avec l’Etat français. Je ne porterai pas de jugement sur ce qui s’est passé en la matière de 2015 à 2021, je ne suis pas dans le secret des dieux ni dans ceux des relations entre l’exécutif et l’Assemblée de l’époque. Force est simplement de constater que ce rapport de force, qui existait en 2017, s’est énormément dilué depuis. Et qu’il reste pourtant la seule façon de négocier des avancées réelles avec l’Etat français. 

L’histoire de France est sans ambiguïté sur le sujet de l’émancipation des colonies. Rien ne se fait en France par la négociation tranquille. Le pouvoir de l’Etat ne se partage pas… même au sein de l’Hexagone ! Gaston Deferre a fait en 1982-1983 les premières lois de décentralisation, et pourtant, bien peu a changé depuis dans les rapports réels de pouvoir entre préfets et élus. Et l’actuel Président de la République française gouverne dans tous les domaines avec ses Préfets. Quant aux colonies, la France est le seul pays occidental à en avoir encore, aux Antilles, en Guyane, dans le Pacifique et dans l’Océan Indien ! Les Kanaks ont pu mesurer ces dernières semaines à quel point la parole de l’Etat ne respecte que la force. Le processus mis en place par Michel Rocard a été fracassé par l’actuel locataire de l’Elysée et aura surtout servi à endormir la méfiance, bien compréhensible, du peuple légitime de Kanaky. Cette attitude de crispation de l’Etat français sur ses ”possessions” ne date pas d’hier. Aucune colonie française n’a accédé à l’indépendance en passant par une période transitoire d’autonomie, où la France aurait accompagné dans le respect mutuel le changement de statut. L’Union française a fait long feu alors même que le Commonwealth britannique accompagnait la fin de l’Empire et permet aujourd’hui encore à la Grande Bretagne de rayonner dans le monde. Alors, dans ces conditions, comment croire que la Corse pourrait se libérer progressivement, et avec la bénédiction de Paris ? L’autonomie pleine et entière n’existera jamais tant que la France sera la France.

Alors, le seul (petit) reproche à Jean-Guy Talamoni, c’est de rester encore un peu trop timide quand il parle de notre nécessaire indépendance. Il est vrai que l’exercice était difficile, face à deux journalistes clairement hostiles sinon à la personne, au moins à ses idées. Mais pourquoi donc concéder que les Corses ne voudraient pas de l’indépendance si on leur posait la question demain, alors qu’on ne leur pose en réalité jamais la question, et qu’aucune campagne digne de ce nom n’est faite sur le sujet ? À la question du journaliste de Corse Matin sur le fait de savoir si, dans un contexte de conflit entre blocs — la Russie contre l’occident (sic) —, de guerre à Gaza, la préoccupation des Corses était l’indépendance, quelle meilleure réponse aurait-il pu y avoir que : préoccupation majeure ou non, c’est en tout cas la seule réponse sérieuse à leurs craintes ? 

Car l’indépendance de la Corse n’est pas qu’une exigence morale dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est aussi la seule réponse possible aux problèmes qui se posent aujourd’hui. D’une part bien sûr à l’intérieur de notre île : maintien de notre culture et de notre langue, priorité à l’emploi local, lutte contre la spéculation immobilière par un statut de résident. Mais aussi dans le monde. Une Corse indépendante et non alignée, promouvant une neutralité active, serait à même de jouer un rôle moral pour la Paix et le respect mutuel des peuples en même temps qu’elle protègerait son propre peuple d’une implication dans l’engrenage mortel qui nous guette. 

Bien sûr, il faut en convaincre les Corses. Mais dans ce but, nulle timidité n’est de mise. Prendre en compte la réalité de l’opinion aujourd’hui et de la propagande permanente qu’elle subit, pour adapter ses arguments et renforcer son action de contre-propagande, cela s’appelle du réalisme. Prendre en compte cette réalité pour atténuer, voire modifier son discours sur le but visé, cela s’appellerait de l’opportunisme. La première victoire d’Ho Chi Minh dans les années 40 a été de mettre le slogan Dôc-Lâp (Indépendance) au cœur de toutes les mobilisations contre les exactions de la puissance coloniale. 

L’indépendance doit revenir au cœur du débat politique corse, quoi qu’en disent les pro-français, autonomistes ou non. Parce qu’aux marges d’une France occupée si activement à s’autodétruire, c’est la seule option permettant au peuple corse d’échapper à un funeste destin. Et, encore plus, parce que c’est possible, et parce qu’indépendante, la Corse pourrait devenir la Suisse de Méditerranée.