Billet de voyage

Nous venons de faire un séjour d’agrément en Sicile, avec retour par la Sardaigne. Mais le plaisir de la découverte et des rencontres ne nous a pas empêchés, tout au contraire, d’observer et de réfléchir. Voici donc, en guise de carnet de voyage, quelques observations et réflexions que m’a inspirées ce court séjour.

Mon étonnement déjà devant la quantité de terres cultivées en Sicile : notamment ces étendues impressionnantes de champs, plantés notamment de céréales qui semblent moutonner à l’infini (il est vrai que le pays est globalement moins montagneux que la Corse…). Et cela sur une terre qui paraît pourtant pauvre en eau : rares sont les fleuves, rivières ou même ruisseaux. Déjà à sec à la fin du mois d’avril ? 

En complément de leur activité de base, les agriculteurs ont aussi misé à fond sur l’agriturismo. C’est sans doute chez eux que nous avons bénéficié des meilleures prestations, de l’hébergement aux repas. D’autant que les produits qu’ils proposent viennent principalement de leurs champs et vergers.

Les particuliers se sont investis également dans le tourisme, avec un nombre impressionnant d’hébergements créés chez l’habitant, relativement au nombre d’hôtels. Beaucoup sont de très bon niveau. C’est impressionnant !

Le tourisme représente en effet un autre pan important de l’économie. Et là aussi, les Siciliens font preuve d’inventivité. Car si la Sicile dispose d’un patrimoine antique et historique exceptionnel, ça ne l’empêche pas de tirer profit, dans ce secteur, et d’une façon tout à fait inattendue, d’un autre aspect de son histoire : la mafia. A Corleone, on peut  prendre un café dans la maison du Parrain, dans un décor qui met à l’honneur le film de Coppola et suivre dans la ville le circuit de la légalité soigneusement fléché et documenté. Étonnant non ? Comment transformer un énorme problème de société en une véritable ressource ! J’ai été bluffée. 

À côté de l’activité agricole et du tourisme, l’île porte les stigmates d’une exploitation industrielle intensive de ses ressources naturelles : même si bien sûr tout le pétrole n’est pas extrait sur place (mais il y a des forages offshore), du nord au sud, des raffineries dénaturent le paysage et empestent l’atmosphère. Bien sûr, l’économie de l’île doit en tirer quelques bénéfices… mais à quel prix pour l’environnement ? À quel prix pour la santé des habitants ? On parle, dans l’est du territoire, du « quadrilatère de la mort ». Ça fait froid dans le dos. Il est vrai que l’Etna se met quelque fois aussi de la partie, avec ses fumées noires qui descendent jusqu’à Syracuse ! 

L’économie de l’île, sa pauvreté et peut-être ses dérives, se lisent aussi dans toutes ces constructions, immeubles ou villas, inachevées. Je ne parle pas que des finitions oubliées, de ces habitations aux murs sans crépi ou de ces tiges de métal tordues au dernier étage des bâtiments. Mais également de multiples constructions qui sont restées en plan, fenêtres et portes murées pour dissuader les squatteurs. 

Les habitants pestent contre les projets démagogiques de pont sur le détroit de Messine, alors même que les infrastructures de base pourraient être améliorées : certaines routes s’apparentent plutôt à des chemins. Pour autant, les autoroutes desservent toute l’île et de nombreux tunnels permettent de préserver l’environnement et la beauté du paysage.

Autre étonnement : le peu de témoignages d’un esprit indépendantiste. Par contraste, je me souviens d’un voyage professionnel en Catalogne, région qui elle aussi dispose déjà d’une autonomie conséquente : j’étais époustouflée du nombre de drapeaux catalans volant au vent, et de village en village, nous découvrions partout banderoles ou slogans, exposés aux fenêtres ou sur les places, à la fois par des particuliers et par les municipalités elles mêmes. En Sicile, les drapeaux sont rares.

Ce n’est pas le cas en Sardaigne. Les revendications indépendantistes sont beaucoup plus visibles dans ce pays qui a, lui aussi, souffert d’une exploitation de type colonial. De nombreuses installations minières, abandonnées aujourd’hui, en témoignent. Alors même que l’île dispose d’un beau patrimoine antique et historique, les Sardes tirent néanmoins profit avec beaucoup d’intelligence de ce patrimoine industriel : ils ont créé un circuit touristique spécifique qui permet de découvrir ces installations maintenant à l’abandon.

En Sardaigne, peut-être de façon encore plus marquée qu’en Sicile, les habitants semblent avoir un don pour identifier et tirer parti de tout ce qui peut contribuer à l’économie de leur île. A méditer… et si possible à modéliser en Corse, non ?